Après avoir attendu sinon l’arrivée de la nuit, du moins celle du sommeil dans En attendant Hypnos (même éditeur, 2014), Piero Salzarulo, et selon la même faconde savante et drôle, passe à l’autre bout de la nuit, bref à l’appel de l’aube : « Debout les enfants : on se réveille ! » : telle est l’injonction première qui secoue le lecteur. Il s’agit de passer de ce qu’on a dormi et rêvé à l’impatience des choses. Ou, si l’on préfère et comme écrit l’auteur, de glisser “de la non-Rem à la Rem”. Pour les embrasser existent trois possibilités : « un réveil fixe, une (mauvaise) surprise du chef ou le réveil à la carte ». L’auteur reprend chaque pièces du menu. Le premier choix ne retient guère son attention même s’il s’agit de la clause la plus roide et efficiente. Mais elle appartient plus aux individus machines qu’au commun des mortels (surtout lorsqu’ils deviennent vieux).
Ne reniant pas ses savoirs médicaux, Salzarulo professe certaines vaticinations plus ou moins farcesques (mais à bien le lire, plutôt moins que plus). Armé d’un corpus littéraire de choix (Dante, Desnos, Eluard, Nerval, Proust entre autres), l’auteur prouve combien le réveil reste complexe : « il peut nous renvoyer à l’endormissement ». Ce qui n’est pas le cas du texte. Celui-ci rappelle que le chien et loup du réveil signifie une heure incertaine, un monde intemporel où le monde se saisit – tant que faire se peut – entre le gris des ombres nocturnes et la lumière du jour.
Quelque chose est là qui nous tourmente, qui n’est pas un trou, un vide mais pas encore un plein. C’est une corruption lente des rêves et des miasmes là où la conscience et la lumière sont encore offusquées.
jean-paul gavard-perret
Piero Salzarulo, Réveil au bistrot, Passage d’Encres, coll. Trait Court, Guern, 2015 — 3,50 €.