Maëlstrom

What we play is life

N’était le mou­ve­ment sco­pique de l’oeil évo­quant déjà le tumulte qui donne son nom au livre, ce thril­ler de Sté­phane Mar­chand parai­trait assez quel­conque : un tueur qui tue en série à l’aide de pro­cé­dés sophis­ti­qués et machia­vé­liques, un écri­vain amné­sique comme désoeu­vré et un agent du F.B.I lan­cés dans une habi­tuelle course contre la montre afin de tra­quer l’odieux meur­trier, une spé­cia­liste de la méde­cine légale les­bienne à ses heures, une jeune femme jadis assas­si­née et ser­vant de leit­mo­tiv expli­ca­tif ; tout cela semble consti­tuer la gamme atten­due de ce genre d’opus.
J’ecris « parai­trait » cepen­dant car Sté­phane Mar­chand, qui connaît jus­te­ment ses clas­siques, offre ici, dans sa réflexion — estam­pillée de la musique de Louis Arm­strong et des chausse-trappe du poker — sur les méandres de la mémoire et des troubles iden­ti­taires, plus qu’ un roman hale­tant dont le lec­teur ne peut s’empêcher de tour­ner les pages.
Et c’est au cours d’un bal­let aussi minu­tieux qu’hallucinant, force est de le recon­naître, orches­tré de main de maître par un roman­cier à la veine mus­ciale obvie, qui aime à jouer des emboî­te­ments du puzzle et du poids des faux-semblants, que vont bien­tôt appa­raître les fon­de­ments de la ven­geance de l’implacable Maes­tro, qui pour l’heure égrène les vic­times tout en déver­sant son man­tra, lié à une vieille ren­gaine « Souviens-toi, souviens-toi de ne pas m’oublier »… Nul n’en sor­tira indemne.

De fait, la clef de l’intrigue, les pro­ta­go­nistes vont bien­tôt le décou­vrir, est aux confins de l’oubli cou­pable , de la rési­lience et de l’indébilité des sou­ve­nirs. Le lec­teur par­ti­cipe alors à son tour, presque à son corps défen­dant, à la leçon entê­tante : qui pour­rait pré­tendre voir assez clair sur soi-même pour ne se sen­tir res­pon­sable de rien au regard d’autrui ? Ne suffit-il pas d’entendre une balade mélan­co­lique, « Cheek to Cheek », un rien prous­tienne, pour être aus­si­tôt ren­voyé dans un autre rap­port à soi et au monde ? Et que faire de ce pou­voir de laisser-aller, de lâcher prise s’il vous amène à vous retour­ner en toute féro­cité contre ceux qui vous ont trahi ? Cha­cun tra­verse ainsi au long de son exis­tence mné­sique les par­ties clefs de ce roman à tiroirs, « brouillard », « rémi­nis­cences », « enfer » mais quid de la « rédemp­tion » ?
« What we play is life » se plai­sait à obser­ver, non sans jeu de mots, Louis « Satchmo » Arm­strong cité en exorde, « what he writes is novel », peut-on dire désor­mais du sieur Marchand.

fre­de­ric grolleau

Ste­phane Mar­chand, Maël­strom, Flam­ma­rion, J’ai Lu, avril 2012, 407 p. — 7,60 €

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