L’ homme reste l’errant des couloirs de sa propre vie : c’est pourquoi souvent il est en quête sinon d’un sens du moins d’un centre. La religion en son imagerie et ses contes sert souvent à cela. Rubens l’avait compris. Il était même payé pour cela. A l’époque, la peinture était en grande partie faite religieuse et hagiographique. La « Descente de croix » du Musée des Beaux-arts de Lille reste l’un des plus beaux tableaux de l’artiste. Elle est ici la pierre d’achoppement du poème de Ludovic Degroote que Monique Tello fait plus qu’accompagner par ses gravures inspirées tant par le texte que l’œuvre de Rubens. Ludovic Degroote a certes « éprouvé » le cheminement final du Christ sans pour autant devenir un illustrateur de la parole sacrée. Parlant du héros des Evangiles le poète écrit :
« il a beau mourir en premier
on reste d’abord
orphelin du reste
on piétine
et puis on passe
à cause des crampes
sans doute à cause des crampes ».
Les 14 morceaux de [la…] croix, l’auteur ne les rameutent pas pour les recoller. Et les mots ” errants du réels ” décrivent moins le mouvement christique que celui des corps soumis chacun à leur propre Golgotha. Du Christ à l’être, il y a moins une descendance qu’une projection non dénuée d’ironie. La croix devient l’occasion d’une hantise à mots qui, pour reprendre un autre texte du poète « ne montent plus / jusqu’à la salive » mais « s’enfoncent dans le ventre » (Pensées des morts).
Le texte n’est donc pas l’occasion d’une rêverie ou d’un basculement dans les circuits de mémoire religieuse mais une réflexion sur l’humain occupé par sa courte expérience terrestre du vide et de la solitude existentielle face à un monde indifférent. L’enjeu n’est donc pas la parole divine : il ne s’agit de nous « et plus exactement du rien de nous. » Avec une économie de moyens, l’impact du texte est radical. Il imprime là où tout se bloquait à une marche forcée. Certes, la croix demeure mais moins comme symbole qu’une sorte de neutralité où l’homme fait l’expérience de la solitude et de la fragilité de l’aller simple qu’est la vie.
jean-paul gavard-perret
Ludovic Degroote & Monique Tello, 14 morceaux de la descente de croix, L’atelier contemporain, Strasbourg, 2015, 400,00 €.