Frédéric Le Moal, Victor-Emmanuel III. Un roi face à Mussolini

Une bio­gra­phie édifiante

En 1969, année du bicen­te­naire de la nais­sance de l’Empereur, fut réédité l’ouvrage clas­sique de l’historien mar­xiste Georges Lefebvre, titu­laire à la Sor­bonne de la chaire d’histoire de la Révo­lu­tion fran­çaise, sous le titre de Napo­léon Ier. Pour­tant, on n’y évo­quait qu’assez peu les idées, la per­son­na­lité du petit capo­ral pour en réa­lité faire l’histoire de la France et de l’Europe de l’époque napo­léo­nienne. C’était la fin d’une époque durant laquelle un uni­ver­si­taire ne pou­vait sans déchoir condes­cendre à écrire une bio­gra­phie. Ce temps est heu­reu­se­ment révolu.
Même les his­to­riens de l’Ecole des Annales comme Marc Ferro ou Jacques Le Goff ont frayé avec un genre autre­fois réservé aux spé­cia­listes de la « petite his­toire » tels André Cas­te­lot ou Phi­lippe Erlan­ger. Et nous dis­po­sons aujourd’hui de très bons livres d’histoire cor­res­pon­dant à ce domaine de recherche. Celui de Fré­dé­ric Le Moal en est une illus­tra­tion remar­quable. Son Victor-Emmanuel III est une com­plète réus­site, du niveau de l’exceptionnelle bio­gra­phie d’Eric Anceau sur Napo­léon III.

Tout d’abord, parce que le por­trait de ce roi méconnu est extrê­me­ment fouillé. Per­son­nage com­plexe impré­gné du sens du devoir mais aussi inca­pable d’affection et même de sym­pa­thie, hor­mis pour sa femme ado­rée. L’auteur ne limite pas à un cha­pitre par­ti­cu­lier l’évocation du carac­tère, des idées, du com­por­te­ment privé du roi mais c’est tout au long des 500 pages du livre que l’on voit vivre, réagir et pen­ser Victor-Emmanuel III dans les diverses cir­cons­tances de son long règne – 46 ans ! –. Ses rap­ports à la famille, à la guerre, à Mus­so­lini sont pas­sion­nants et ne peuvent être résu­més tant ils sont com­plexes et ambi­va­lents. Il faut lire l’analyse pré­cise et pro­fonde de Fré­dé­ric Le Moal.

Par ailleurs, à l’instar des his­to­riens anté­rieurs et contrai­re­ment à ses jeunes col­lègues contem­po­ra­néistes, jamais l’auteur ne sombre dans la morale – ou plu­tôt le « mora­lisme » comme avait dit Nietzsche – ; il écrit à cet égard dans son avant-propos : « Il est vrai que l’idéologisation de la science his­to­rique entrave l’étude apai­sée des faits et des hommes contro­ver­sés. » Pour autant, il livre quelques coups de griffes qui sont aussi des bon­heurs d’écriture. Par exemple à la page 271 évo­quant les socia­listes res­pon­sables des mou­ve­ments révo­lu­tion­naires en Ita­lie après la Grande Guerre, Fré­dé­ric Le Moal écrit : « Gal­va­ni­sés par les évé­ne­ments de Rus­sie, ils orga­nisent des grèves, favo­risent la créa­tion de conseils d’usine qui poussent comme des pus­tules sur un corps infecté. »
La lec­ture de l’épilogue, mer­veille de syn­thèse, nous lais­ser pen­ser que l’auteur garde une cer­taine ten­dresse vis-à-vis du sys­tème monar­chique. Les der­niers mots de cette étude à la fois neuve par son sujet et clas­sique par sa com­po­si­tion, son sérieux, sa pré­ci­sion, font écho à Maur­ras : « Les Savoie ont fina­le­ment quitté la scène de l’histoire […] empor­tant avec eux la pres­ti­gieuse his­toire d’une famille qui a fait l’Italie. »

didier graz

Fré­dé­ric Le Moal, Victor-Emmanuel III. Un roi face à Mus­so­lini, Per­rin, février 2015, 556 p., 26 €

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