Les hybridations conséquentes
Dans les peintures, les encres, les collages d’Hélène Lagnieu le monde se manifeste par le corps de la femme et ses ajouts animaliers. Les hybridations forment un nœud où s’efface tout décor. Dès lors elles donnent à imaginer un indéfini surcroît par la vertu de rappels et d’analogies. Le corps féminin-animal est rendu à une innocence sauvage. Non que l’artiste ne réduise Eve à la bestialité. Mais irréductible à tout type de complaisance, l’artiste crée de fait des portraits sublimés “inversés”.
Ils éloignent autant du facile agrément que d’un érotisme quelconque. Certes, la promesse d’un certain plaisir n’est pas obligatoirement absente : elle fait partie de la masse totale de la vie au même titre que (par exemple) la maladie évoquée ici par certains éléments tirés de grimoires de médecine. Parfois boursouflé plus que semeur d’excitation, le corps jette le trouble par son déploiement d’économie animale. Mais toutefois, c’est moins la femme que le voyeur qui tourne en bourrique dans un travail de résistance avérée face à la maladie de l’idéalité comme au malaise des civilités.
L’œuvre séduit par son élégance dans la mesure où le langage plastique en sa ménagerie bâtarde touche à une vérité et un accès paradoxal au réel. Le contour d’un sein ou d’une hanche très vite coupé par des éléments volontairement parasites accentue l’évidence que se joue ici — animal aidant — une extension du réel. Mi-femme mi-bête, l’image décontenance d’autant que la nudité (promise « beyond sex » aurait écrit Duchamp) est poussée loin de toute distraction superfétatoire. La longue série de touches savantes et drôles est conduite jusqu’au point où de l’hybridation surgit une unité par effet de métamorphoses plus radicales que métaphoriques, fidèles à la réalité humaine la plus profonde.
Le corps gras et généreux comme une terre fertile devient parfois un simple déploiement d’une souplesse féline. L’animalité débarrasse la vision de toute idée de mythe. Elle ramène à une simplicité charnelle douloureuse comme jouissive. Hélène Lagnieu détord sans apparat mais avec beaucoup de doigté l’arc tracé par la déesse égyptienne qui fit jadis du firmament tout entier le corps féminin. Ramené à la bête, ce dernier devient la réponse à une exigence irrépressible et naturelle. Dans sa combinaison baroque et viscérale, l’être passe de l’état de fantôme métaphysique à celui de chair primitive du futur.
jean-paul gavard-perret
Hélène Lagnieu, Baroque viscéral , Galerie Béatrice Soulié, Paris 6ème, du 20 mai au 12 juillet 2014 .
Sur l’artiste : Hélène Lagnieu, Chair d’expression, 2014, 39,00 €. Disponible chez l’artiste.
Hélène Lagnieu et Mariette : même combat en siamoises artistiques qui étirent l’être en chair sans néant . JPGP exprime au plus que parfait Le tropiot qui sommeille . Bravo au trio !
merci pour ce beau texte qui colle parfaitement à mon travail
Hélène