Avec son (entre) presque (et) rien qui se veut « l’éloge de l’interstice » (souligné par le sous-titre), Philippe Pichon devient son sujet, mais en quelque sorte il doit le trouver. En vertu de quels critères ? A partir de quel moment a-t-il pris corps ? Tout est inscrit dans de telles pages guidées d’une façon presque pulsionnelle. Ce qu’il a écrit ici depuis des mois sur le blanc du papier devient un parcours et un acte très simplifiés mais très compliqués. Ils créent une rupture, un sillon ou une démarcation en profondeur.
Se faisant advenir comme sujet — peut-être à son insu ou bien avec sa complicité-, l’auteur fait preuve d’un verbe très précis et d’une verve souveraine pour graver des rapports discordants, avec des vides avec des pleins et entre les deux. De fait, la seule réponse de son identité est un “ là où je vois je suis et là où je suis je vois”. Afin d’expliquer ce mouvement réciproque comme l’entre qui sépare l’être et l’étant, les analyses de l’auteur deviennent des pensées impressionnistes mais réfléchies. Elles s’arriment à l’idée évidente de traces afin d’explorer et de comprendre qui il est, ses singularité et son rapport au monde et ses images cachées.
Philippe Pichon devient poète et philosophe par ses jaillissements, intuitions, réflexions sur l’univers en apertures de la “co-naissance” (Claudel) de l’être et du monde. Le tout en tenant compte du surprenant, de l’excèdent de chaque situation où l’écriture approfondit le sens. Dès lors, dans ces textes « (entre) presque (et) rien » — comme d’ailleurs dans ses romans (1) -, en examinant codes et « situations » (Sartre), la révélation du réel est bouleversé car il est revu et corrigé. A tout lecteur ou lectrice qui est confronté à ce corpus, un face-à-face perturbant étonne et détonne à la fois.
Dès lors, dans ce livre intempestif, la conscience de soi se révèle dans des dynamiques d’écart et de distance. Du temps, de la parole, de l’espace, les seuils infranchissables sont révélés. L’équilibre vacillant est sauvé. Un temps otage et insituable de lui-même, entre l’immobilité d’un état et l’impossible stabilisation du sens et d’une appartenance à soi, l’auteur pour se sanctifier use forcément de l’interstice – à savoir l’écartèlement, et l’incertitude.
En conséquence, au centre d’un livre dont le « moi » est auto-soumis à une pression tyrannique, son auteur jeté dans le monde, au sens du Dasein, cherche à prendre conscience de sa fragilité et de la solitude.
jean-paul gavard-perret
Philippe Pichon,
-(1) Un regard vers le ciel, Les éditions de Paris Max Chaleil, Paris, 2021, 120 p. — 14,00 €.
- (entre) presque (et) rien, éditions Dutan, 2024, 166 p. — 18,00 €.