Christine Célarier sur le corde tendue du baroque vénitien — entretien avec l’auteure (Je choisis la lagune)

Varia­tions, déve­lop­pe­ments, diver­si­fi­ca­tions, rami­fi­ca­tions disent la com­plexité de la vie et du monde là où la poé­tesse donne par­fois des occa­sions de jubi­ler. Écri­ture ver­bale, musi­cale et pic­tu­rale pos­sèdent ici une même langue et une struc­ture fon­dée sur des suites d’harmonies. En élar­gis­sant son champ, Chris­tine Céla­rier, hors des sphères rétré­cies, fait retrou­ver son hori­zon humain. Le nôtre aussi.
Ici, la poé­sie ne vient pas cou­cher dans les lits faits pour elle. Elle est fon­dée sur des réflexions sans logo­ma­chie. Car celle-ci se résorbe en celles-là comme un fil dans une plaie. Et d’ailleurs, il est pos­sible que le para­dis ter­restre soit dans l’idée puisque de tels poèmes d’une telle Sybille sont le centre et le noyau. Elle rap­pelle que cha­cun au départ est nu et ne se sait pas nu. Mais peu à peu, la poé­sie dis­tan­cie et cherche tant de choses qui séparent. Mais la poé­sie de Chris­tine Céla­rier voit leur transparence.


Entretien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Une vive curio­sité, voire une impa­tience de vivre chaque matin un nou­veau jour.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Cer­tains se sont réa­li­sés. D’autres se sont trans­for­més. D’autres sont oubliés. D’autres sont à venir

À quoi avez-vous renoncé ?
À pou­voir voya­ger sans aucun bagage, dommage !

D’où venez-vous ?
D’ici ou de là. Pas de lieu fixe ori­gi­nel impor­tant. Mais des lieux aimés, choi­sis qui font office de « d’où je viens ».

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
Une ligne, ne rien lâcher. Ou si vrai­ment c’est impos­sible, trou­ver d’autres voies d’accès.

Un petit plai­sir – quo­ti­dien ou non ?
Un plai­sir très quo­ti­dien : pen­dant une poi­gnée de secondes regar­der dehors en se disant : « c’est bon d’être vivant ! ». Un plai­sir presque quo­ti­dien : quand un tra­vail est en cours, le plai­sir et la hâte de des­cendre à l’atelier chaque matin. Retrou­ver son atmo­sphère brouillonne et enve­lop­pante. Un plai­sir un peu moins quo­ti­dien : voya­ger pour cher­cher et trou­ver mes « nour­ri­tures » artis­tiques en musar­dant dans les musées, en déam­bu­lant dans les rues.

Com­ment défi­ni­riez vous ce livre, Je choi­sis la lagune ?
Venise est le fond et la forme de Je choi­sis la lagune.
Où, vou­loir faire entrer le poème dans la prose serait le pari.
Où, choi­sir l’ellipse pour évo­quer la cité serait l’évidence.
Où, des thèmes entre les lignes serait l’enjeu.
…L’eau entre lagune et intime.
…La nuit entre ombre et lumière.
…Le deuil entre fini­tude et renou­vel­le­ment…
Les mots engendrent les images… les images engendrent les mots…

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Je ne sais pas si c’est la pre­mière image mais, grâce à cette ques­tion, celle qui me revient sans réflé­chir est la sui­vante : l’illustration pleine page dans un livre de conte de fées d’une maison-botte accueillante. J’avais 6 ans.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Il y a eu pour moi plu­sieurs pre­mières lec­tures (et il y en a encore !). Sui­vant les âges. Toutes aussi impor­tantes les unes que les autres. De vraies pre­mières fois répé­tées ! Ma pre­mière lec­ture d’enfance, les Syl­vain Syl­vette, mêlée de plai­sir et d’effroi. Puis les Tin­tin, de façon répé­ti­tive et ras­su­rante. Pre­mière lec­ture de « grande » au début de l’adolescence, La nau­sée de Sartre, avec éton­ne­ment et fas­ci­na­tion. Dans le même temps, Coc­teau. Tout Coc­teau. Après pleins d’autres…

Quelles musiques écoutez-vous ?
Musiques baroques. Avec peu d’instruments, vio­lon­celle, voix.
Bach, Vivaldi, Haen­del avec la voix grave de contralto de Natha­lie Stutz­mann.
Ver­laine et Rim­baud chan­tés par Léo Férré, Patti Smith (écou­tée ou lue !). Mais aussi Xerîbî avec Bachar Mar-Kalifé, la musique du film Inter­stel­lar, et aussi Dormi Siface avec Minec­cia Nerey­das.
Rien d’incompatible dans ces choix. Suivre le rythme des ses humeurs et de ce que requiert comme sono­ri­tés le tra­vail pour avancer.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je n’aime pas relire les livres que j’ai lus. Par contre, j’aime reprendre un livre déjà lu pour pio­cher de mémoire au cœur de ses pages soit une image, soit une phrase, soit un pas­sage, soit une pen­sée en phase avec ce qui occupe mon présent.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Entre autres films, et parce que revu récem­ment, ce pas­sage du film Inter­stel­lar de Chris­to­pher Nolan avec ces retrou­vailles entre un père et sa fille… deve­nue une vieille femme sur le seuil de la mort. Voir le film pour com­prendre. Les films de Tar­kovski me font pleu­rer d’émotion.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi. J’ai beau cher­cher, rien que moi ! Et sui­vant les jours, déses­pé­ré­ment,… joyeu­se­ment… rageu­se­ment… tranquillement !

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À Paul Aus­ter …trop tard !

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Venise… défi­ni­ti­ve­ment Venise. Mythe et réa­lité tota­le­ment mêlés pour moi. Être là-bas, reve­nir et tou­jours avoir ce désir fort d’y retour­ner. Vivre avec ce mythe incarné.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez la plus proche ?
Liste non exhaus­tive : Bran­cusi, Serra, J.Beuys, M.Merz, L.Bourgeois, G Penone, A.Messager, Sophie Calle, B.Viola, Rothko, Ver­meer, Bel­lini, Rebecca Horn, M..Kundera, Bache­lard, M.Duras, P.Auster, M.Hanshofer, Ogawa, Le Cle­zio, S.Hustvedt, W.Wenders, P.Handke, Che­reau, Tar­kovski, Kawa­bata, D.Lynch, P.Greenaway, G. Didi-Huberman, Franck Venaille…et les autres.…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une belle et grande sur­prise qui sau­rait tom­ber pile poil avec un désir non formulé !

Que défendez-vous ?
Entre autres cette idée : « Tout sauf le cynisme ». Il est infé­cond, méchant, inutile, vain…

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Pirouette laca­nienne à la fois réaliste…peut-être et déses­pé­rante… sûre­ment. Mais faire avec et inventer.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Soit le signe d’une ouver­ture sans a priori, soit le signe d’une capa­cité à l’oubli plu­tôt réjouissante.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Celle que vous auriez à l’instant en tête !

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 6 sep­tembre 2024.

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