Jaccottet sait que des douleurs laissent parfois muettes, il ne les ignore pas mais il se tient au rebord de leurs vagues et de leurs fractures pour envisager encore le souffle des feuillages et les eaux courantes des torrents. Pour lui, la poésie ne se limite pas à l’épreuve de la vie sur terre. Ce qui échappe à la vie, le regard le sauve même si parfois il est difficile de se fondre dans l’extase du monde. Le tragique de certains épisodes n’est remplacé chez le poète suisse ni par les algorithmes qui excitent les banquiers ni par des reconstructions purement ludiques parce que mentales. A la commotion fait place l’illumination.
Les mots de Jaccottet tentent de saisir un accomplissement terrestre en un agencement spécifique. Il ne se contente pas des conventions sans pour autant cultiver des postures d’effractions ouvertes. Mémoire et projection, le poème se veut « le pas gagné » réclamé par Rimbaud. Il devient l’avenir modeste à tout vivant sur terre. Il s’expose sans nier le mal. Le poète jette une pierre dans son étang pour en casser la rigidité. Dans sa marche forcée, la poésie se veut une expérience vitale plus joyeuse qu’éreintée. Cela ne va pas de soi mais c’est le moyen d’oser le temps avec grâce, d’accueillir le monde. Pour croire aux étoiles. Ici même, ici bas.
jean-paul gavard perret
Philippe Jaccottet, Œuvres Coll. Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 2014, février 2014.
Bonsoir,
Je lis de la poésie depuis longtemps.
En effet, vous avez le sens de la formule: la poésie n’est pas faite pour ceux qui s’excitent avec des “algorithmes” financiers.
Ou ceux qui détruisent les paysages en y appliquant leurs règles comptables.
En un sens la poésie hélas, n’est pas de ce monde, monde qui refuse la pure présence, monde pour qui le calcul et le temps linéaire tiennent lieu de seuls “lieux”, de points de fuite.