Le Surréalisme et son double
« Une petite côte de Dada, voilà ce qu’est le surréalisme » disait Ribemont-Dessaignes. Il se trompa peu. Une bonne douche, un coup de peigne à ce mouvement radical et Breton devint l’idole des taupes avides de sucreries littéraires qui allaient le momifier et trouver jusque dans ses urines des dépôts d’or diabétique. L’histoire du surréalisme reste donc à écrire et non par ses thuriféraires. Captant l’héritage des avant-gardes, son pape et ses cardinaux ne furent pas avares de coup de pieds en vache envers des mouvements auxquels ils doivent tant : avant-garde russe et allemande, Dada (déjà cité), Metafisica et Futurisme (dont l’histoire aussi reste à écrire).
Si le surréalisme possède une originalité, il faut plus le chercher dans l’art plus que dans l’écriture (hormis quelques poètes belges et Benjamin Péret) et hors de France plus qu’à Saint-Germain des Prés. L’importance du langage plastique y est donc fondamentale, la littérature anecdotique : ses révélations restent des postiches séduisants mais pétrifiés. Le surréalisme dut son écho aux universitaires de la Sorbonne qui très tôt s’en emparèrent (preuve que l’école n’avait rien de bien subversive) et à son mariage avec le marxisme : l’un servit de faire-valoir à l’autre et vice-versa.
Le Dictionnaire de l’objet surréaliste sauve le bon grain de l’ivraie. Il en souligne le bric-à-brac mais il donne un sens à un certain chaos et lui accorde des prolongements imprévus — parfois tirés par les cheveux. Les artistes du temps réunis dans ce corpus seront peut-être surpris de s’y retrouver : Cindy Sherman, Ed Ruscha par exemple se demandent probablement ce qu’ils font dans cette (belle) galère. Mais il n’existe pas chez Pierre Ottinger la même avarice que chez un Breton. Proposant un tour exhaustif des expositions et des œuvres des surréalistes, l’imposant corpus ajoute une pièce majeure à l’histoire du mouvement.
Force est de constater néanmoins que bon nombre de ces objets qui surprirent en leur temps ont vieilli. Etrangement non répertorié dans ce dictionnaire — même s’il n’est pas surréaliste à proprement parler -, « L’Urinoir » de Duchamp est passé par là. Et depuis près d’un siècle les artistes ont tant multiplié des gadgets « artistiques » mais aussi des machines désirantes des plus sophistiqués… En conséquence, les objets présentés semblent parfois d’aimables plaisanteries pour magasins d’antiquités.
Leur économie libidinale est d’un célibat endurci. Néanmoins, l’intérêt du livre est de resituer les œuvres concrètes dans leur époque afin de dégager leurs différents paramètres et enjeux. Entre la chaise « Magicien Game » de David Hare, la « femme cuillère » de Giacometti, « Ma gouvernante » de Meret Oppenhein ou les œuvres de Dali et de Arp, l’éventail non seulement des propositions mais des optiques change la vision du mouvement. Le Dictionnaire prouve comment une matérialité peut devenir spirituelle. Il montre tout autant que si une étoile vacille sur un vagin d’un mannequin de cire, il ne faut pas forcément y voir du corps sinon celui d’une éolienne qui tourne à vide.
Saluons enfin Didier Ottinger et le Centre Pompidou de n’avoir pas sacrifié à un esprit franco-français. Les Surréalistes français sont loin de se tailler la part belle dans ce gâteau hybride. Les figures de proue en restent les Meret, Oppenhein, Picasso, Arp, Giacometti, Man Ray, Miro et Dali. Ce dernier offre par un de ses écrits (p. 287–289) la plus probante définition de l’objet surréaliste.
jean-paul gavard-perret
Dictionnaire de l’objet surréaliste, sous la direction de Pierre Ottinger, co-édition Centre Pompidou et Gallimard, Paris, 2013, 331 p. - 39,00 €.
Bonjour,
Votre verve serait des plus efficace si vos sources, et même avant cela vos yeux se posaient sur la première de couverture : DIDIER Ottinger a dirigé cet ouvrage.