Dictionnaire de l’objet surréaliste, dir. Pierre Ottinger

Le Sur­réa­lisme et son double

« Une petite côte de Dada, voilà ce qu’est le sur­réa­lisme » disait Ribemont-Dessaignes. Il se trompa peu. Une bonne douche, un coup de peigne à ce mou­ve­ment radi­cal et Bre­ton devint l’idole des taupes avides de sucre­ries lit­té­raires qui allaient le momi­fier et trou­ver jusque dans ses urines des dépôts d’or dia­bé­tique. L’histoire du sur­réa­lisme reste donc à écrire et non par ses thu­ri­fé­raires. Cap­tant l’héritage des avant-gardes, son pape et ses car­di­naux ne furent pas avares de coup de pieds en vache envers des mou­ve­ments aux­quels ils doivent tant : avant-garde russe et alle­mande, Dada (déjà cité), Meta­fi­sica et Futu­risme (dont l’histoire aussi reste à écrire).
Si le sur­réa­lisme pos­sède une ori­gi­na­lité, il faut plus le cher­cher dans l’art plus que dans l’écriture (hor­mis quelques poètes belges et Ben­ja­min Péret) et hors de France plus qu’à Saint-Germain des Prés. L’importance du lan­gage plas­tique y est donc fon­da­men­tale, la lit­té­ra­ture anec­do­tique : ses révé­la­tions res­tent des pos­tiches sédui­sants mais pétri­fiés. Le sur­réa­lisme dut son écho aux uni­ver­si­taires de la Sor­bonne qui très tôt s’en empa­rèrent (preuve que l’école n’avait rien de bien sub­ver­sive) et à son mariage avec le mar­xisme : l’un ser­vit de faire-valoir à l’autre et vice-versa.

Le Dic­tion­naire de l’objet sur­réa­liste  sauve le bon grain de l’ivraie. Il en sou­ligne le bric-à-brac mais il donne un sens à un cer­tain chaos et lui accorde des pro­lon­ge­ments impré­vus — par­fois tirés par les che­veux. Les artistes du temps réunis dans ce cor­pus seront peut-être sur­pris de s’y retrou­ver : Cindy Sher­man, Ed Ruscha par exemple se demandent pro­ba­ble­ment ce qu’ils font dans cette (belle) galère. Mais il n’existe pas chez Pierre Ottin­ger la même ava­rice que chez un Bre­ton. Pro­po­sant un tour exhaus­tif des expo­si­tions et des œuvres des sur­réa­listes, l’imposant cor­pus ajoute une pièce majeure à l’histoire du mou­ve­ment.
Force est de consta­ter néan­moins que bon nombre de ces objets qui sur­prirent en leur temps ont vieilli. Etran­ge­ment non réper­to­rié dans ce dic­tion­naire — même s’il n’est pas sur­réa­liste à pro­pre­ment par­ler -, « L’Urinoir » de Duchamp est passé par là. Et depuis près d’un siècle les artistes ont tant mul­ti­plié des gad­gets « artis­tiques » mais aussi des machines dési­rantes des plus sophis­ti­qués… En consé­quence, les objets pré­sen­tés semblent par­fois d’aimables plai­san­te­ries pour maga­sins d’antiquités.

Leur éco­no­mie libi­di­nale est d’un céli­bat endurci. Néan­moins, l’intérêt du livre est de resi­tuer les œuvres concrètes dans leur époque afin de déga­ger leurs dif­fé­rents para­mètres et enjeux. Entre la chaise « Magi­cien Game » de David Hare, la « femme cuillère » de Gia­co­metti, « Ma gou­ver­nante » de Meret Oppen­hein ou les œuvres de Dali et de Arp, l’éventail non seule­ment des pro­po­si­tions mais des optiques change la vision du mou­ve­ment. Le Dic­tion­naire prouve com­ment une maté­ria­lité peut deve­nir spi­ri­tuelle. Il montre tout autant que si une étoile vacille sur un vagin d’un man­ne­quin de cire, il ne faut pas for­cé­ment y voir du corps sinon celui d’une éolienne qui tourne à vide.
Saluons enfin Didier Ottin­ger et le Centre Pom­pi­dou de n’avoir pas sacri­fié à un esprit franco-français. Les Sur­réa­listes fran­çais sont loin de se tailler la part belle dans ce gâteau hybride. Les figures de proue en res­tent les Meret, Oppen­hein, Picasso, Arp, Gia­co­metti, Man Ray, Miro et Dali. Ce der­nier offre par un de ses écrits (p. 287–289) la plus pro­bante défi­ni­tion de l’objet surréaliste.

jean-paul gavard-perret

Dic­tion­naire de l’objet sur­réa­liste, sous la direc­tion de Pierre Ottin­ger, co-édition Centre Pom­pi­dou et Gal­li­mard, Paris, 2013, 331 p. - 39,00 €.

1 Comment

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One Response to Dictionnaire de l’objet surréaliste, dir. Pierre Ottinger

  1. Khoudiacoff

    Bon­jour,

    Votre verve serait des plus effi­cace si vos sources, et même avant cela vos yeux se posaient sur la pre­mière de cou­ver­ture : DIDIER Ottin­ger a dirigé cet ouvrage.

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