Le logos « absent » de Philippe Jaffeux : entretien avec l’auteur

Philippe Jaf­feux fait évo­luer l’alphabet et l’écriture selon un ordre de la dis­pa­ri­tion et de la renais­sance : « un abc­def­ghij obso­lète s’évapore au contact d’un ren­ver­se­ment lit­té­raire pour faire front à des octets cal­ci­nés ». Ce jeu est plus sérieux qu’on croit. Il fait la part au vide et conjure les hasards. L’envers des nombres et des mots conte­nus dans chaque page entre­tiennent autant l’ignorance qu’un savoir par les mul­tiples hyp­noses qu’un tel « pro­pos » engage. La créa­tion au carré trouve sou­dain un rôle inédit. Contre l’empâtement du logos sur­git une volte-face qui « for­mule l’endroit d’une ins­pi­ra­tion oppo­sée à la numé­ri­sa­tion d’une écri­ture machi­nale » au milieu d’un chif­frage dont la géo­mé­trie dérange et décale « les octets sou­mis à l’immobilité d’un écran qui ponc­tue l’élan d’un film ».
Tout part en culbute, le livre tel qu’il est conçu depuis tou­jours bouge. Sur­git un ver­tige lit­té­raire jouant sur des sys­tèmes de per­mu­ta­tion. Tout vibre selon des orien­ta­tions impré­vues – comiques par­fois, sou­vent. Elles intègrent une ins­pi­ra­tion mys­té­rieuse et le ren­ver­se­ment d’un chaos dans un autre, loin de la gram­maire super­fi­cielle d’une contem­pla­tion clas­sique afin que bien des sens per­mutent par effets de lettres. Telles Lazare elles se lèvent du cime­tière des mots, sol­li­citent d’autres faveurs pour des renais­sances des signes sacri­fiés.. Vingt-six images par vingt-six lettres s’envolent en une logique « cos­mique » l’abcèdère irrem­pla­çable est acces­sible à l’audace et aux obs­tacles des défi­ni­tions. Il fuit d’une inter­ligne à l’autre. Le miracle s’accomplit.

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La fin d’un rêve.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?

Des rêves d’adultes.

A quoi avez-vous renoncé ?

A moi-même, peut-être.

D’où venez-vous ?

D’un ani­mal.

Qu’avez-vous reçu en dot ?

L’alphabet.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?

La parole mais aussi le silence.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?

Apprendre.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains et artistes ?
Rien du tout, j’espère.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ?

Des reflets, pro­ba­ble­ment.

Où travaillez-vous et com­ment ?

Dans tous les lieux qui sont acces­sibles à mon fau­teuil élec­trique et uni­que­ment à l’aide d’un dic­ta­phone numé­rique, main­te­nant.

Quelles musiques écoutez-vous ?

Toutes sortes de musiques qui me mettent en transe.

Quel est le livre que vous aimez relire ?

Les hexa­grammes du Yi-King.

Quel film vous fait pleu­rer ?

Shoah de C.Lanzmann.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?

Un piètre imi­ta­teur.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?

Aux anal­pha­bètes.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?

La grotte de Las­caux.

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?

Il y en a trop : je ne peux pas choi­sir.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?

Je ne fête plus mon anniversaire.

Que défendez-vous ?
Une infi­nité de nombres divins, notamment.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
La parole et l’amour sont des mys­tères qui s’entretiennent l’un l’autre.

Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Toutes les réponses sont bonnes si elles sont des questions.

Pré­sen­ta­tion et entre­tien en octobre 2013 par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com

2 Comments

Filed under Entretiens, Poésie

2 Responses to Le logos « absent » de Philippe Jaffeux : entretien avec l’auteur

  1. carole donval

    féli­ci­ta­tion a mon­sieur Jaf­feux Phi­lippe pour le peux que j ai lu sur cette page deja ! je me sou­vient en 2007 il ecri­vait l abe­ce­daire deja , de mon coté j etais cer­taine que ce livre sor­ti­rai un jours , helas a cette epoque il n est pas sorti ‚je pense que tout sim­ple­ment ce n etais pas le moment , mais voila le bon moment pour lui est venue !feli­ci­ta­tion philippe !!!!!!!!!!!!

    carole

  2. francesca caruana

    grâce à Tin­bad je découvre l’auteur.

    et ici ce ques­tion­naire est fin et édi­fiant sur la néces­sité des réponses brèves. Esthé­tique de l’exercice.

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