Pour qui connaît l’œuvre de David Léon, il n’est jamais étonnant de voir se mêler à son propre texte, à ses propres mots, des citations entre guillemets, des citations empruntées à ses auteurs de cœur et souvent des contributeurs importants de la psychanalyse travaillent en écho avec sa création littéraire comme si le texte, semblable à une étoffe, joignait plusieurs tissus.
Avec Le Terrien est un spam, les « emprunts » s’affirment encore davantage au point d’être recensés en appendice à la fin du volume. De mentionner ainsi Vinciane Despret, Baptiste Morizot, Fethi Benslama et enfin Jacques Lacan qui entre dans la matière textuelle tel un personnage : Jacques dit … Il apparaît dès l’épigraphe. Le célèbre psychanalyste dévore le langage.
Toutefois la fabrique du texte de David Léon ne s’arrête pas là. S’agit-il bien de théâtre malgré son intégration dans une collection de ce genre ? Certes quelqu’un parle mais qui? Quelqu’un s’adresse aux Terriens, aux lacaniens, jungiens et freudiens mais justement sur le mode d’une science fiction, qui par définition se constitue dans un espace de l’éloignement. La communication est un problème : UnDeuxUnDeuxEstcequevous m’entendez ? Où est le début, où est la fin. Que s’est-il passé ?
Tout s’écroule sur le mode de l’extinction des espèces animales et végétales mais sans doute l’essence du langage du réel est remise en cause. Il n’est pas seulement question d’écrire une « comédie grinçante » sur un monde post covid comme le pense une certaine critique mais bien plutôt de « rafistoler » les langues, les mots d’aujourd’hui non pas tant pour les railler pour leur donner une existence propre pour faire texte.
David Léon cite à la fois des auteurs mais aussi des mots ; ceux du numérique, de l’informatique, de la science médicale : RebootYourSystemNow ou encore EN MODE CANCEL DELETE et tant d’autres. Les majuscules d’ailleurs font basculer ces termes dans le domaine livresque et littéraire. Une langue à part.
On ne peut que récupérer ce qui est en voie de disparition, archiver pour reprendre le mot que David Léon donne aux fragments isolés qui constituent une discontinuité avec le reste. Il fonde ainsi un bestiaire poétique comme l’entendait un Apollinaire dans son recueil du même nom. Partout ailleurs, il établit des listes d’espèces menacées qu’il choisit sans doute moins pour des raisons strictement zoologiques que davantage pour leur pouvoir de mystère langagier : panthère nébuleuse, nycticèbe, tinamou noir, casoar à casque…
L’auteur agit comme un musicien avec son sampler. Il fait texte en « copier-coller ». Il y a sans doute à reconsidérer tous ces mots non pas dans leur simple usage mais dans tout leur potentiel linguistique et poétique. Spam et son spiced ham. Les Terriens pourraient justement saisir cette beauté des mots, de ce nouveau dictionnaire.
Le dernier animal « archivé » n’est pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du poulpe connu pour son intelligence et surtout associé à la figure de l’écrivain : il est un être d’encre. Il est le je de l’écriture :
effondrement j’écris et Collapsologie j’ai déjà disparu et j’ai déjà écrit…
Ce qui sauve cette humanité, c’est la possibilité d’écrire le texte malgré l’effacement annoncé de la Lalalan… qui sonne comme un air musical d’ailleurs, un air de tralala. Si Le terrien est un spam n’est peut– être pas une pièce de théâtre : le texte a donné lieu à un concert littéraire à la maison de la poésie à Montpellier avec le contrebassiste Vincent Ferrand, en septembre 2021, il est puissance de l’invention verbale de notre condition humaine,.
Parole par-delà les ruines du monde.
marie du crest
David Léon, Le Terrien est un spam, Editions espaces 34, 2023, 55 p. — 13,00 €.