Pierre Andreani, Litanie pour possession

L’opéra et les gueux

“On m’invite à glo­ri­fier / ici par cent / mots agen­cés / comme il me plaît, /dire, miau­ler une lita­nie / pour pos­ses­sion, / un oré­mus des grands matins” dit en pré­am­bule l’auteur et il ne s’en prive pas, aux côtés par­fois d’un autre val­seur plus ou moins ivre ou d’une belle aux yeux brillants de lucioles.
Mais tou­jours en com­pa­gnie de lec­teurs avide de telles fatra­sies sub­tiles et drôles.

Doté d’une “gomme rose”, Andreani biffe, rature pour ne lais­ser place qu’à une poé­sie allant à l’essentiel par ce qui devient une fable métaphorico-surréaliste qui dit son fait au monde tout en filant à l’anglaise tant la nef des fous est pleine à cra­quer.
Tou­te­fois, avant de ris­quer le gibet et de “don­ner à man­ger / aux cor­vi­dés”, le sacri­pant poète est tou­jours prêt pour un opéra pas dégueu.

Dans cette dérive ou cet ora­to­rio, le lamento et les reni­fle­ments res­tent incon­nus. Le poète opte pour une divine paresse non sans pres­tance.
Ce qui fait ici du verbe une magie. Le tout dans le mono­logue du sourd même si l’auteur, qui pré­fère des­cendre les échelles que les mon­ter, sait feindre le dialogue.

C’est ce qui plaît d’ailleurs en cette sou­te­nable et comique légè­reté de l’être dont les plai­san­te­ries retorses de der­rière les fagots sont le fait, moins d’un bûche­ron, que d’un ébé­niste du lan­gage.
Sans déci­mer les cimes, Andreani ne s’en fait pas l’histrion alpi­niste. Il joue au besoin les pru­dents met­tant deux plâtres l’un sur l’autre et des gants vio­lets en guise de masque pour “la consom­ma­tion d’air au poivre filtré”.

Que toute pos­ses­sion ne soit pas prise (ce qui n’est pas sans dif­fi­culté pour un grim­peur) entraîne une marche for­cée avec un tel ath­lète à l’allure si peu sûre que vaquer avec lui (pour être à ses côtés théo­ri­cien de la folie et buveur) tient de la bam­boche et de la plus superbe inuti­lité.
Mais, en de telles péré­gri­na­tions, nous voici devant une poé­sie auda­cieuse et en rien ano­dine. En sa par­ci­mo­nie ver­bale cal­cu­lée, elle a quelque chose à dire et à mon­trer à qui tient encore à la vie.

Et ce, parce qu’il existe chez un tel auteur un Vil­lon du temps post­mo­derne sus­pendu au-dessus du vide.

jean-paul gavard-perret

Pierre Andreani, Lita­nie pour pos­ses­sion, Edi­tions Sans Escale”, Paris, 2022, 68 p. — 13,00 €.

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