L’opéra et les gueux
“On m’invite à glorifier / ici par cent / mots agencés / comme il me plaît, /dire, miauler une litanie / pour possession, / un orémus des grands matins” dit en préambule l’auteur et il ne s’en prive pas, aux côtés parfois d’un autre valseur plus ou moins ivre ou d’une belle aux yeux brillants de lucioles.
Mais toujours en compagnie de lecteurs avide de telles fatrasies subtiles et drôles.
Doté d’une “gomme rose”, Andreani biffe, rature pour ne laisser place qu’à une poésie allant à l’essentiel par ce qui devient une fable métaphorico-surréaliste qui dit son fait au monde tout en filant à l’anglaise tant la nef des fous est pleine à craquer.
Toutefois, avant de risquer le gibet et de “donner à manger / aux corvidés”, le sacripant poète est toujours prêt pour un opéra pas dégueu.
Dans cette dérive ou cet oratorio, le lamento et les reniflements restent inconnus. Le poète opte pour une divine paresse non sans prestance.
Ce qui fait ici du verbe une magie. Le tout dans le monologue du sourd même si l’auteur, qui préfère descendre les échelles que les monter, sait feindre le dialogue.
C’est ce qui plaît d’ailleurs en cette soutenable et comique légèreté de l’être dont les plaisanteries retorses de derrière les fagots sont le fait, moins d’un bûcheron, que d’un ébéniste du langage.
Sans décimer les cimes, Andreani ne s’en fait pas l’histrion alpiniste. Il joue au besoin les prudents mettant deux plâtres l’un sur l’autre et des gants violets en guise de masque pour “la consommation d’air au poivre filtré”.
Que toute possession ne soit pas prise (ce qui n’est pas sans difficulté pour un grimpeur) entraîne une marche forcée avec un tel athlète à l’allure si peu sûre que vaquer avec lui (pour être à ses côtés théoricien de la folie et buveur) tient de la bamboche et de la plus superbe inutilité.
Mais, en de telles pérégrinations, nous voici devant une poésie audacieuse et en rien anodine. En sa parcimonie verbale calculée, elle a quelque chose à dire et à montrer à qui tient encore à la vie.
Et ce, parce qu’il existe chez un tel auteur un Villon du temps postmoderne suspendu au-dessus du vide.
jean-paul gavard-perret
Pierre Andreani, Litanie pour possession, Editions Sans Escale”, Paris, 2022, 68 p. — 13,00 €.