L’errant galactique
Claude Pélieu (1934–2002) fut un collagiste et poète français qui a rejoint — après un passage par le surréalisme — les écrivains de la Beat Generation qui l’ont inspiré et qu’il a traduit avec sa compagne Mary Beach (William Burroughs, Allen Ginsberg, Bob Kaufman).
Celui qui s’est consacré peu à peu presque exclusivement au collage a néanmoins continué à écrire ce qui est moins des aphorisme que des règles d’une morale altière : “ne tuez pas les gens, attendez qu’il inventent”, “Branlez la femme d’un flic, la Police des Mœurs jouit à l’emporte-pièce”, “Vvlez la drogue des fourgueurs puis tirez la chaîne.”
Rimbaud n’eut qu’à bien se tenir d’autant qu’avec le temps il fut comme lui : “je suis la vague de désillusions qui gronde”.
Il n’a jamais cessé de vitupérer en mots et en images en se faisant passer pour “Beau Sourire Chambre d’Echo” tout en restant un cadavre encore tiède qui ressembla aux vivants “comme 2 gouttes d’eau”. Sortant de la terre, il se fit l’errant galactique propre à créer une “écriture qui enraye le désastre”.
Il se plaça pas très loin de ” la Zone Noire Oxydée” tout en demeurant racines du ciel. Mais seulement les rouges-sang propres à générer des mots-virus contre toutes les langues et les institutions.
Son livre est un concentré de rage et d’exorcisme pour crier une liberté au moment où les oiseaux (déjà) ne chantaient plus. C’est pourquoi ce Jukeboxes est prémonitoire puisque, désormais, il ne faut plus chercher les clés du printemps sous la neige : elle a disparu. Les milliers de poètes n’auront donc (comme les autres) rien fait pour la terre.
Si bien que cette liberté promise n’est pas loin de la mort qui résonne du coeur des villes aux steppes australiennes. Mais, avant la rupture finale du chant “amorcé par les regards défoliés des fabricants de napalm”, Pélieu en “charogne insomniaque” tenta de sauver ce qui pouvait l’être encore.
Il prêcha dans le vide face à ceux qui avaient couvert le paradis terrestre d’étincelles et de cendres. Auprès de “Celle Qui Avait Une Jupe De Serpents”, vilain parmi les cerfs de l’espace, le poète voulait que les monstres de guerre et les seigneurs de la politique pâlissent. Mais en pure perte : ils continuent de répandre leur chimie mortifère en teignant les images des télévisions qui leurs servent de relais en rose miel.
Le taciturne enragé osa néanmoins le rouge rosse contre cette dilution fadasse.
Et une telle option garde toujours de quoi secouer notre couenne pendant qu’il en est temps. C’est du moins la seule espérance.
jean-paul gavard-perret
Claude Pélieu, Jukeboxes, éditions Lenka lente, Nantes, 2020, 180 p. — 13,00 € (parution en février).