Pour vivre et élaborer la « matière » poétique, Luminitza C. Tigirlas crée les anneaux d’une étreinte amoureuse et selon un protocole efficace : elle ouvre des fenêtres mentales — une par poème. Les pages se suivent comme celles d’un journal intime où sont sollicités et s’enregistrent des échos, des suites, des retours, des suspenses. Ce sont des séances mais où le biographique est transformé en une scripturographie et en “écho-lalie”.
Existe une suite de rubans au fil des poèmes dans un « je qui n’est pas jeudi » (écrit l’auteur) en ce semainier d’un « comment c’est » (à la manière de Beckett » mais où, à l’inverse de celui-ci, le « pas moi » (puisqu’il doit passer dans une langue foraine) revient à lui dans un inconscient vibratile. D’un lundi noir, il avance jusqu’à un dimanche où peut se prier autant un démon qu’un saint, là où l’ailleurs est porteur de vertige mais aussi d’un retour.
Perdure une sensualité puissante et implicite en flot ininterrompu comme en un mouvement inverse : l’exigence de pureté. L’exil fait ainsi de la vie un dédale mais, avec un courage existentiel, la poétesse reste à la recherche d’une voix qui fendrait enfin la longue nuit. L’avantage de ce nocturne est de favoriser certes le rêve : mais avec le danger de son addiction. Car, soudain, les paysages « à noix et à nu » tournent à l’angoisse même si tout se voudrait chant d’amour là où la figure masculine prend des formes de divers totems (tronc, tige, noyer) sur laquelle la sphère féminine pourrait éclater au détour d’insomniaques rituels.
Surgit en un tel livre une quête mais aussi un dialogue sous forme de soliloque : car si l’une parle, l’autre (le un) reste muet et coi. Et c’est peut-être bien là tout le problème de l’auteur mais aussi sa force d’emprise : lorsque, face à lui, les mots sortent, le moi n’est plus accroupi, il s’érige contre la brûlure du néant afin qu’un charme opère. Au bon entendeur de comprendre.
jean-paul gavard-perret
Luminitza C. Tigirlas, Noyer au rêve, Editions du Cygne, Paris, 2018, 70 p. — 12,00 €.
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