Gilles Ortlieb, Pavillon Moïana

In media vita

Gilles Ort­lieb pro­pose un livre rare, pro­fond et qui ne per­met pas les effets. L’auteur est face à l’agonie de son frère : « Une voix tou­jours plus alen­tie, des membres tou­jours plus minces, au tou­cher, à tra­vers les draps ou le sur­vê­te­ment. L’os. On en vient fata­le­ment à se dire qu’il ne res­tera bien­tôt plus que cela, l’os. » Il ne s’agit plus par la lit­té­ra­ture de rendre belles les choses mais de ne pas détour­ner le regard est de « dire » la dou­leur même si l’une de ses pro­prié­tés est « de ne pas se par­ta­ger » : qu’elle soit celle qui accom­pagne l’agonisant ou celui-ci qui « se débat, avec une inten­sité, une com­ba­ti­vité variables selon les jours, devant nos yeux. »
L’effondrement est là où il n’existe pas de place au miracle. Cha­cun est désarmé face à ce qui arrive et fait écho à un livre plus ancien de l’auteur : Tom­beau des anges (Gal­li­mard, 2011). Ort­lieb tra­vaille l’existence dans ce qu’elle pos­sède de plus dense au sein d’un uni­vers men­tal et phy­sique for­te­ment « émo­tion­nel » mais en le détour­nant de tout élé­ment super­fé­ta­toire. Il s’agit de s’affronter à la matière-objet qu’est l’agonie plis­sée d’inconnu dans la radi­ca­lité d’un arra­che­ment au sein d’un soli­loque par­ti­cu­lier. Il ne rompt pas la len­teur de tels moments, afin de sai­sir le mou­ve­ment de ce qui advient en dehors de tout espoir au moment où la mort imprime sa vic­toire sur l’humain trop humain.

Gilles Ort­lieb « apprend » à affron­ter une néces­sité sans détour­ner le regard. La mort s’incruste dans la chair comme si le dedans lais­sait mon­ter la trace et l’ajour d’une exis­tence à l’état déjà dif­fracté d’une immense perte et départ qui écrasent. La néces­sité devient une loi d’airain : celle au moment où l’existence s’arrête et plonge dans le monde muet lorsque la trace du vivant perd son éner­gie jusque là sour­de­ment incor­po­rée à une forme d’espoir qui n’est plus pos­sible.
Le monde de la pré­sence devient celui du tra­gique le plus ter­rible et cruel. Il ouvre à la connais­sance qui dépasse l’entendement au moment où l’auteur se trouve confronté à l’expérience de la fata­lité de l’insoutenable. La mort est donc un moyen de connais­sance qui ne per­met pas de vivre avec bra­vade mais dans la fata­lité que la mala­die impose à celui qui la subit et ceux qui l’accompagnent et qui doivent accep­ter une acca­blante résignation.

Reste à savoir désor­mais com­ment ce « dire » et sa connais­sance néga­tive va rebon­dir après un tel déca­logue dans les pro­chains livres d’Ortlieb.

jean-paul gavard-perret

Gilles Ort­lieb,  Pavillon Moïana, Fron­tis­pice de Michel Potage, Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2018, 40 p. — 10,00  €.

2 Comments

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2 Responses to Gilles Ortlieb, Pavillon Moïana

  1. Eric-Noël Dyvorne

    Bon­jour Gilles, j’ai perdu ta trace depuis que tu as quitté le Luxem­bourg. Peux-tu reprendre contact avec moi? Mon mail est ci-dessus. Nous repren­drons une conver­sa­tion inter­rom­pue…
    Ton vieux copain
    Eric-Noël

  2. Antonio Moyano

    à Mon­sieur Gilles Ortlieb,

    Ce dimanche matin 15 novembre, je lis Pavillon Moïana, et j’ai cher­ché sur google maps la rue de Cîteaux et l’hôpital Cognacq-Jay… Pour me faire une idée des dis­tances, je connais si peu Paris. Il y a trois ou quatre mois, je ne sais plus, j’ai lu de vous ce bref por­trait d’Arthur Ada­mov. En peu de mots, et des trouées de silence, vous avez l’art de dire beau­coup. Si vous pas­sez (encore ? ou plus jamais ? ou rare­ment ?) par Bruxelles, n’hésitez pas à me contac­ter. Et si entre temps la vie est rede­ve­nue nor­male, on ira prendre un café près des tram­ways. Bien à vous, très cordialement.

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