Catherine Liégeois comble un vide : son panorama non seulement fait le point sur le livre d’artistes qui fut plébiscité par beaucoup d’artistes principalement à partir du début du XXème siècle, mais ouvre le domaine de l’édition selon une ouverture qui fait du livre un « volume » à tous les sens du terme.
Plus que tout autre « support » intellectuel, le livre est un objet manipulable. Son usage peut être basique : il se tient en mains dans le but de le compulser pour l’intérêt que suscite ce qui est imprimé. Néanmoins et comme le rappelle l’auteure, ses propriétés physiques font de lui une sorte de sculpture : un ouvrage est donc une œuvre.
Certes, sa « forme » tient parfois à son utilisation. Mais il n’est pas jusqu’au livre de compte, aux carnets de voyageur, etc. d’impliquer un certain montage, « montrage » et préhension Bien des artistes se sont emparés de ce modèle afin de la transformer pour lui offrir un autre statut. Choisi pour un objectif qui ne se limite plus au savoir logomachique, il devient un œuvre plastique à part entière.
L’essayiste, après un aperçu historique, donne de nombreux exemples de la transformation de l’objet à la fois en outil spécifique ou en œuvre unique par sa « peau », sa matière, sa typographie, sa reliure, ses typologies qui se caresse, ondule, émerge, etc..
L’auteure ne néglige en rien les aperçus ludiques ou savants de la tactilité du livre. Elle rappelle évidemment l’importance de cet aspect pour les aveugles mais elle montre aussi la force ludique et scientifique qu’une telle qualité offre aux enfants comme aux savants. Finalement, Catherine Liégeois accorde aux livres d’artistes leur force de révélation. D’Anselme Kieffer à Eole (encore trop méconnue), de Pessin à Yasmina Crabières ou Anik Vinay et bien d’autres, elle montre la transformation modulable et préhensible du livre devenu non seulement un bel objet à regarder mais aussi à toucher.
L’essayiste conclut son livre par des pages essentielles : « Le toucher par la pratique ». Après des « conseils » ludiques, elle verbalise les perceptions tactiles qui impulsent une nouvelle vie au livre et à la transmission qu’il peut « co-mettre » dans sa masse volumique.
La vision originale d’un objet commun — même s’il a tendance à se dématérialiser — jaillit d’un tel remarquable ouvrage dont la jaquette elle-même n’est pas innocente…
jean-paul gavard-perret
Catherine Liégeois, L’art du livre tactile, éditions Gallimard, coll. Alternatives, 2017, 160 p. — 32,00 €.