Nicolas Rozier, La main de brouillard — Poème pour Francis Giauque

Fran­cis Giauque toujours

Né en 1934 à Prêles (can­ton de Berne), Fran­cis Giauque ne connut qu’un « che­min de lame » et de glas que Nico­las Rozier aus­culte. Ado­les­cent taci­turne mais tout autant imper­ti­nent que drôle, féroce que sar­cas­tique, Giauque renonce à ses études, vit reclus dans la mai­son fami­liale avant de ten­ter de s’assumer. Lourd de soli­tude, d’angoisse com­bat­tue mal­adroi­te­ment par l’alcool, les portes se referment sur ses espoirs. Tout dans sa vie devient ce qu’il nomme une suite d’« échecs et d’humiliations » et une des­cente aux enfers. Son œuvre tra­duit ce cal­vaire. Elle en reste l’unique exu­toire.
Celui qui se sent frère des Artaud, Pre­vel, Esse­nine, Ner­val, Poe s’installe un temps à Lau­sanne (rue du Cal­vaire…) puis décroche un poste d’enseignant en Espagne où il croit trou­ver de nou­velles pos­si­bi­li­tés. Il y dépé­rit une fois de plus, retourne à Prêles. Il est soi­gné en cli­niques psy­chia­triques. Par­ler seul, son pre­mier recueil de poèmes, paraît en 1959. Giauque tente de refaire sur­face : « Je me sur­vis. J’essaie encore de lut­ter car l’instinct de vie se débat féro­ce­ment en moi ». Mais bouffi et assommé par les médi­ca­ments, il ne tarde pas à mettre fin à ses jours par noyade en 1965.

Nico­las Rozier pré­sente un ensemble puis­sant qui dénonce l’enfermement dans la mala­die, les drogues, l’échec et l’humiliation de l’auteur et met en exergue la puis­sance poé­tique d’une œuvre habi­tée de déses­poir et de révolte. « En écri­vant La Main de brouillard c’est bien sûr le poète suisse et son œuvre sin­gu­lière que j’ai voulu mettre à l’honneur, mais aussi la lignée, la figure pro­to­ty­pique dont il fut l’exemple » précise-t-il.
L’auteur met à nu les cir­cuits de l’histoire d’une vie afin de don­ner à com­prendre les signi­fi­ca­tions d’une œuvre qui demeure en sus­pens puisque Giauque ne put ache­ver de se com­prendre lui-même sinon par la mort. Rozier remonte les croi­se­ments, les frot­te­ments qui vont « défaire » Giauque en son pacte impli­cite et de tou­jours avec la mort contre lequel la poé­sie ne put rien. Certes, dans sa force, elle tenta de la trans­po­ser, et recons­truire selon sa propre loi une exis­tence. Mais celle-ci ne put croi­ser la vie (sinon par de brèves éclair­cies) et donne aux deux mots « poète mau­dit » tout leur sens.

jean-paul gavard-perret

Nico­las Rozier,  La main de brouillard — Poème pour Fran­cis Giauque, Le Cas­tor Astral, 2016, 70 p. - 12,00 €.

Leave a Comment

Filed under Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>