Cofondatrice de la revue “Freak Wave”, Anne Van Der Linden reste une iconoclaste underground. Pour notre pur plaisir, elle ose presque tout. Ses femmes aussi. Et même les figures christiques montent sur le Golgotha chargées de bardas intempestifs. Chaque membre dans cette ménagerie humaine se déguste avec les doigts. Le sang circule et la nuit brûle parmi les « freaks », leurs frocs et leurs frasques. Les femmes de l’artiste ne sont jamais sages et ne se privent ni de leurs mains ni du reste.
De telles abbesses du démon rendent le quotidien étrange. Leur présence est aussi difficile à nier qu’à affirmer. Et avant de nous présenter le miroir dans lequel nous nous imaginerions, Anne van Der Linden nous accorde leur pure contemplation : nous entrons facilement dans leur dévotion.
De l’artiste : le superbe Rosebud aux éditions La Belle Epoque, 2016.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le bruit de mes voisins qui se lèvent à 5h pour aller sur les chantiers, ça me donne un rythme d’ouvrière.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je voulais voler, ça m’a passé mais je m’intéresse aux oiseaux.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai mis le paquet sur ma création, avec le cortège de renonciations que cela implique souvent (vie de famille, sécurité financière, congés payés).
D’où venez-vous ?
De la banlieue, je suis passée de la banlieue parisienne ouest (bourgeoise) à la banlieue nord (lumpenprolétariat).
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un peu de sous.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Manger, marcher…
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Mon style j’espère.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Des illustrations moches de l’Ancien Testament.
Et votre première lecture ?
Vous voulez dire la première lecture qui m’a interpellée ? Babar, Colette …(!)
Comment définiriez-vous votre approche de l’apocalypse, d’Eros et de Thanatos ?
C’est comme une conjuration. Les squelettes et les sexes s’entremêlent au bénéfice de la vie.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Très peu actuellement, les musiques qui passent, aussi celles de mes amis. Je mets la radio sans vraiment l’écouter, son bourdonnement me calme. Par contre, j’ai une formation de musique classique, et j’ai écouté du rock (la culture de ma génération), et ses dérivés, musique électronique indus, bruitiste… je m’occupais à une époque de la distribution de ce type de musique auto-produite ou produite par des micro labels indépendants.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
En ce moment ça pourrait être “La mort d’Ivan Ilitch” de Tolstoï
Quel film vous fait pleurer ?
N’importe quel film “triste”, et pas forcément de qualité, je suis très bon public.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une image mentale. Ou alors il faut que je me voie par surprise. Il m’est arrivée dans cette situation de croire pendant un très court instant que je voyais une autre personne et non pas mon propre reflet, et là le jugement sur moi-même était implacable.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A personne
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Un lieu auquel je ne pourrais jamais accéder.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Mes collègues de la marge, les créateurs underground.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un projet à l’étranger.
Que défendez-vous ?
Je me bats pour continuer à produire et à diffuser mes travaux.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Au-delà des définitions, il y a ce besoin de se sentir exister au travers d’une autre personne, pour avoir moins peur.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Il aurait pu dire de la même manière : “la réponse est non”. Il parle d’incommunicabilité.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
A vous de me le dire ?
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 4 mai 2016.