Des paysages de rêve et de douleur pour insectes hurleurs
Lorsque le rêve et le réel ne s’étreignent plus, la crête du sommeil est étêtée mais elle fait soudain jaillir le poème élégiaque par saccades. Il rejoint la ténèbre. L’écriture la rend néanmoins quelque peu radieuse. Certes, le présent ne représente plus du tout l’or du temps. La splendeur du monde s’est fondue puisque les vapeurs amoureuses ont quitté les frondaisons de l’existence.
Poème en prose ou roman à rimes intérieures, le livre est structuré en dix parties dont la jointure passe par des citations aussi hétérogènes que continues (d’Ossip Mandelstam, Claire Diterzi, Marina Tsvetaieva, Ingeborg Bachman, Boris Pasternak et Linton Kweezy Johnson et surtout Ghérasim Luca, Paul Celan – bissé pour le premier, triplé pour le second). Là, je-tu y est à la fois progressivement tué et inversé.
Se conjugue la ténuité du temps passé au moment où la femme devient fille de l’éphémère. Avant que l’homme renverse la situation de l’aimé(e) et de l’amant(e) pour déborder encore largement sur le présent. Son intérieur est géant et s’y creuse un gouffre de douleurs même si la femme reçoit encore l’hommage de Serge Ritman.
Enfant de ce vertige, lorsque sa nuit s’ouvre comme un fruit, il devient le braconnier des mots, le scribe du désarroi. Obscur oiseleur, ne pouvant faire refleurir l’arbre de vie qui est parti sans attache comme voltigent les pétales d’amandiers, son mutisme devient sa pitance mais il se conjugue encore avec la musique des sphères disparues. Bref, Ritman s’épuise pour notre sidération à réinventer des paysages théâtraux “auto-reverse” de rêve et de douleur pour insectes hurleurs.
jean-paul gavard-perret
Serge Ritman, Tu pars, je vacille, Tarabuste éditions, Saint Benoît de Sault, 2015.