Fabienne Jacob entre Joy Division et Bach : entretien avec la romancière

Avec Mon âge Fabienne Jacob devient une roman­cière de pre­mier plan. Elle plonge dans le temps comme d’autres dans le cha­grin. Mais le texte ignore les larmes ; il pré­fère conju­guer les époques non sans émo­tions et drô­le­rie jusqu’à faire appa­raître ce que Proust nomma « du temps à l’état pur ». Sor­tant de sa clô­ture, le roman vaga­bonde sans souci de la chro­no­lo­gie. Il devient celui de la revi­vis­cence pour subli­mer une cer­taine soli­tude qui, à lire l’interview de l’auteure, semble moins de saison.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le thé Dar­jee­ling pre­mière récolte

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Devant moi jusqu’à mon der­nier souffle

A quoi avez-vous renoncé ?
A la pas­sion au sens éty­mo­lo­gique, celle qui fait souffrir

D’où venez-vous ?
De la matrice que consti­tue pour moi la cour de la ferme de ma grand-mère en Lorraine.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un sen­ti­ment de perte

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
Le regard des autres sur moi

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Trois ciga­rettes par jour

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Le rythme de mes phrases, la ponc­tua­tion ou l’absence de ponc­tua­tion, au plus près de la sen­sa­tion physique.

Quelle fut l’image pre­mière qui esthé­ti­que­ment vous inter­pela ?
La ligne noire de la forêt que je voyais de la fenêtre. Ma mère me disait que des sol­dats amé­ri­cains en étaient sor­tis, ma grand-mère me disait que c’étaient des loups et des renards…

Et votre pre­mière lec­ture ?
Les pre­miers poèmes de Rimbaud.

Pour­quoi votre atti­rance vers le “por­trait” lit­té­raire ?
L’intérieur et l’extérieur. Je cherche, der­rière une pré­sence phy­sique, à sai­sir l’être.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Selon mon humeur, “Tombe la neige” d’Adamo, “Jim” de Jean-Louis Murat, tout Joy Divi­sion ou tout Bach.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Le Bruit et la fureur » de Faulkner

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Lumière silen­cieuse” de Car­los Reggadas

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Else (1)

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’ai plus peur d’écrire (à qui que ce soit). J’ai peur de ne plus écrire, plutôt.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Tous les lieux que je vois dans les films que j’aime : les bords de mer en Suède de Berg­man, les forêts de bou­leaux de Tarkovski…

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Ceux que j’admire : Ber­nard Gue­guen, Giotto, Rothko, Louise Bour­geois, Car­los Reg­ga­das, Tar­kovski et tant d’autres…Ceux qui m’ont influen­cée: Bruno Dumont, William Faulk­ner, Vio­lette Leduc, Pierre Michon, Marie-Hélène Lafon et tant d’autres…

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un bou­quet de fleurs

Que défendez-vous ?
Ma solitude

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cela a été vrai pen­dant toute ma vie, et depuis peu, c’est tout l’inverse : “c’est don­ner quelque chose qu’on a à quelqu’un qui le veut.”

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Woody Allen fait trop de films ces der­niers temps ! (mais ce n’était pas la ques­tion, je crois…)

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Pour­quoi j’écris et ce que j’écris, et heu­reu­se­ment ! je n’aurais pas su quoi répondre.

(1) Nom de l’héroïne de Mon âge.

Pré­sen­ta­tion et entre­tiens réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 6 décembre 2014.

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