Refusant le pathétique, Cathy Garcia rallonge le sursis de bonheurs trop brefs. S’adressant aux voyageurs autour du monde ou autour de leur chambre, elle offre un peu d’étrange et d’étranger : paysages ou hommes qu’elle a aimés et parfois pour lesquels elle a souffert, flux qui l’enlacèrent et qui l’ont furtivement ou profondément métamorphosée. Ils rentrent encore par les pores de sa peau « sans digue / Ni barrage ». Ils se cristallisent avec sobriété et violence abrupte. Remontent du ventre les sensations où le passé reprend chair. C’est comme si la poétesse était nue mais pouvait se déshabiller encore par le chant primitif qui disloque sa distance aux terres rouges et ramène l’harmonie dans leur sillage. Le livre emporte vers les chaleurs étouffantes. La transe remonte dans le tam-tam du corps, le t’âme-t’âme de l’écriture charnelle en battement de mesure et démesure. Reste sur chaque page des marges substantielles (le blanc) que le graphisme boit. La poésie devient application de l’espace sur lui-même. En retrait : rien de trop.
Cathy Garcia enfouit et déploie. Tout est suspens et retombée dévoilant la profondeur du contact par les mots torches. Mots noirs, peau blanche. L’inverse aussi. Voix nue. Emprise et prise de vue. L’auteure trouve l’aptitude à dire l’impossible, à régurgiter l’émotion si longtemps retenue par pudeur. S’allonge progressivement le geste sur lequel l’attention doit porter. C’est un retour sans l’aller au-delà de l’aller sans retour. Un fond, un bruit, un fluide, un flux. Lumière et non éclairage. L’oxygène de l’écriture — mais aussi l’azote des terres tropicales, l’aridité des déserts. L’ellipse et l’énoncé. Nécessité du secret. Impératif de la parole. Son tissu si fin pourrait tomber en pièces sans l’énergie qui le tend là où le poème évitant le récit vient à bout du seuil infranchissable pour « Rejoindre le départ / Le point de nulle part / Ensablé de beauté ».
jean-paul gavard-perret
Cathy Garcia, Ailleurs simple, illustrations Jean-Louis Millet, nov. 2012 (1), Éditions Nouveaux Délits (2), St. Circ-Lapopie, 2014.