Stéphane Vereecken dépasse les borgnes : entretien avec l’artiste belge

Stéphane Vereecken dépasse les borgnes : entretien avec l’artiste belge

A priori il n’a pas choisi d’être là, mais il monte la garde, ouvre l’œil pour qu’on ne croie pas qu’il existe un mur entre le réel et l’imaginaire. On ne sait si au lieu de travailler il préférerait aller au cinéma ou voir un match des Diables Rouges. Au besoin il y ira une autre fois. De toute façon, chez lui, tout se passe sous l’œil – mais pas du Bon Dieu. Qui commande ici si ce n’est l’être suprême qu’est l’artiste lui-même ? Et voici celui qui construit son autel, seul et raide comme piquet. Il surveille les alentours.
Il n’y a rien ni personne dans les environs tant c’est un nulle part mais pourtant il surveille, il guette car on ne sait jamais. C’est ainsi qu’il cultive la magie des parenthèses visuelles. Il n’est jamais question d’habiter l’abstinence et Vereecken guette les lieux où il est nul besoin d’ascenseur pour que s’envoient en l’air les sacs à os qui se caressent sur le sable ou près des manèges afin que leurs têtes tournent comme une bétonnière et son moteur.

 Entretien :

Quʼest-ce qui vous fait lever le matin ?
Ma prostate.

Que sont devenus vos rêves dʼenfant ?
Mes rêves j’ai réussi à les imprimer sur papiers, les encadrer et le cas échéant les clouer sur un mur blanc comme un principe strict exhibé à la vue de tous. Ils ne m’ont jamais quitté. Ce sont aujourd’hui des œuvres d’art.
Depuis un certain nombre d’années j’exhibe et étale des corps humains remplis de bestialités enragées qui racontent un moment de vie. Et je rêve encore.

A quoi avez-vous renoncé ?
Je renonce rarement, car je suis plutôt du genre déterminé. Mais construire des châteaux de sable, j’ai renoncé à poursuivre cet effort. En Espagne surtout.

Dʼoù venez-vous ?
D’un accouchement prématuré bruxellois. D’une blessure non avortée. D’une commune bruxelloise où rien n’était prédestiné à devenir un artiste.
Même si j’ai fréquenté de nombreuses d’académies artistiques, je suis plutôt du type autodidacte.

Un petit plaisir ?
Petite ballade forestière matinale avant un exercice plus cérébral solitaire et jouer avec mes animaux de compagnies.
Enragés si possible.

Quʼest-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Raconter des histoires à interprétations multiples en une seule image concrète. Mettre mon imaginaire au service des autres, ne pas exposer mon nombril, mes sentiments personnels, car je ne « suis » pas ce que je « fais ». Je ne me couperai pas l’oreille.
Le quotidien m’inspire. Mais je ne me compare pas aux autres, je regarde et aime très souvent le travail des autres artistes.

Comment définiriez-vous votre approche du portrait ?
L’arrêt sur image. L’instant arrêté pour mieux spiritualiser l’intention.
Et ensuite créer une anomalie pour griffonner un état de conscience pas encore consommé. Après je passe à l’image suivante.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Mon atrophie. Elle me porte vers le haut.

Quelle est la première image qui vous interpella ?
La Joconde … dans le Larousse. Qui pour moi a tout d’une première photographie dans l’intention de son créateur. D’un instantané intemporel.
Et aussi la vue sublime d’un coucher de soleil rond et rouge … alias  » Le Banquet  » de René Magritte, où la chlorophylle est absente et où ce banquet peut vite devenir orgiaque d’une lumière brûlante.

Et votre première lecture ?
Le badge de l’infirmière qui se penche sur mon berceau. Elle s’appelait Jacqueline. Plus sérieusement et plus tard, Tintin et Milou et adolescent l’œuvre électrique d’Anthony Burgess.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Du rock progressif, Bowie, Cake, Daniel Darc, The Jessus & Mary Chain, et plus récemment des musiques de films très orchestrales.
Je suppose que j’écouterai bientôt de la musique classique. J’ai besoin de calme et de sérénité, et moins de distorsions.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Sur la Route – Jack Kerouac. Même si cela fait très longtemps que je ne l’ai pas relu, cela dit.

Quel film vous fait pleurer ?
Restons sur le bitume et dans l’univers de la photo : « Sur la route de Madison  » – Clint Eastwood – Bouleversant ce pont, et sublime Francesca. Le retour presque mystique de Luke Skywalker dans les deux derniers « Star Wars ».
Mais la musique de ces films contribue pas mal au relâchement lacrymal.

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un qui essaye de progresser sur tous les fronts de jour en jour.
Mon épitaphe :  » j’ai essayé …  »

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Au Père Noël.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Santorin.
Une première visite assez jeune en famille. Cette vue magnifique sur la caldera. Les couleurs, le blanc, le bleu, la terre noire.
Ce soleil qui se couche assez rapidement, les étoiles qui apparaissent tout aussi vite magnifiques. Le mythe antique, Platon … et l’Atlantide. Et aussi le voyage contemplatif en bateau pour y arriver.

Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Le dadaïsme et les surréalistes. La recherche de l’union du réel et de l’imaginaire.
Michaël Borremans et David Lynch sont jumeaux mais ils ne le savent pas. Je les admire mais ils ne le savent pas.
Tant pis ? tant mieux ?
Ren Hang, Terry Richardson, Helen Levitt, Hiromix, Diane Arbus, Jérome Bosch, Baudelaire, André Breton, Amélie Nothomb, Houellebecq.

Quʼaimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une trottinette pour gaucher.

Que défendez-vous ?
Le droit de déranger, d’exprimer son art sans constamment avoir l’impression de devoir se justifier et devoir quelque chose à quelqu’un. Une liberté d’expression honnête. Je ne défends pas du tout par contre ces autoproclamés défenseurs de valeurs, destructeurs juste par pur plaisir égoïste et sadique, et qui sévissent sur la toile. Le désordre s’auréole de petits moments inopportuns mais pas au détriment d’autrui.

Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
C’est résumer la vie de tout artiste. Créer une œuvre que l’on n’attend pas, que l’on n’a pas encore imaginée, que le public n’a pas encore captée. Ensuite la monstration d’une œuvre qui est aussi une déclaration d’amour universelle. Alors parfois l’être aimé ne vous aime pas en retour. Faut-il insister ou pas … tel est le dilemme.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Savoir dire « non » est encore plus séditieux que de se souvenir de la question subsidiaire.

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Beatles ou Rolling Stones ?

Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 6 août 2018

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