Richard Brautigan, Pourquoi les poètes inconnus restent inconnus
Nature première, nature seconde
En 1954, à 21 ans, Richard Brautigan quitte l’Oregon, pour s’essayer à San Francisco devenu un laboratoire littéraire et artistique. Avant son départ, il offre un manuscrit à Edna Webster, mère de son seul lecteur et de sa petite amie de l’époque : « Quand je serai riche et célèbre, Edna, ce sera ta sécurité sociale. » En 1992, après la mort de l’auteur, Edna Webster montre le manuscrit à un libraire ébahi. Il s’agit de Pourquoi les poètes inconnus restent inconnus. C’est peut-être le chef-d’œuvre de celui qui par la suite parcourut le San Francisco des Diggers, le Japon tant aimé et son ranch dans le Montana.
Celui qui chérissait les poètes français (Baudelaire en premier chef), Emily Dickinson et William Carlos Williams, les musiciens psychédéliques californiens, les haïkus de Bashô et l’alcool fit de C’est tout ce que j’ai a déclarer ses « fleurs de papier avec de l’amour et de la mort ». Mélangeant fiction, poésie et journal intime il cassa les genres et reste un électron libre de la littérature américaine.
Chez Richard Brautigan le monde est aussi brouillé que soumis à une observation et une re-présentation minutieuse. Cela ne fait donc pas de son travail une approche hyperréaliste puisque le flou croissant semble dominer là où tout est aussi grandiose que réduit, loin et proche. Entrer dans la poésie de l’Américain revient à pénétrer à notre tour en état de seconde nature.
Derrière la moindre anecdote, le texte circule en liberté. S’y engage tout le mental et l’émotion dans la conjonction de l’espace et la manière tant l’auteur croise le réel par effet de buée. Poétique par excellence, l’œuvre ne cherche pas la séduction mais une précipitation selon différents effets de pigmentations. Le monde devient un champ magnétique d’une sensualité aérienne, diffuse.
Demeure aussi une puissance tactile. Le fantasme est remplacé par le mythe – un mythe d’un genre particulier. Un tel travail crée la véritable rencontre et la sortie du temps. Elle devient la recherche d’un parcours à l’ombre des saisons. C’est aussi une traversée, un gouffre de sensations. La gravité est là mais s’y renverse.
jean-paul gavard-perret
Richard Brautigan, Le Castor Astral, 2016
– Pourquoi les poètes inconnus restent inconnus, traduit de l’anglais (USA) par Thierry Beauchamp & Romain Rabier,
– C’est tout ce que j’ai à déclarer, traduit de l’anglais (USA) par Thierry Beauchamp, Frédéric Lasaygues et Nicolas Richard