Philippe Thireau, A l’aube des baisers sans tain
Manuel de voluptueuse et meurtrière goinfrerie
Chez Philippe Thireau, il n’y jamais d’accrocs pour tenir le cap au pire. Ici, la vie enfouie dans les songes et les boîtes de nuit, nous avançons groupés vers la danse macabre tout en tombant parfois de haut mais dans le carnaval des sens.
Existe donc dans ce livre des cérémonies secrètes où les os cliquètent, sentent le cimetière mais les ogresses des amours retiennent de futurs cadavres védiques par les pieds. Et nous retrouvons là les valeureuses dont leur corps sait et serre. Il y a là du Cauda. Comme lui, Thireau est expert là où les adultes errent et les mégères apprivoisent – Cauda lui-même malaxant leur terre pure pour y planter son ver, sa tente sous une pluie de baisers au tain thym voire de mille houx.
Face aux chairs meurtries, Thireau, élégant cavalier, parade en habit d’officiant dans certaines grottes rarement platoniques. Parfois ses orgues à prières résonnent ici d’un De Profundis. Mais le poète sait que – faire la bête à deux dos sous les coquelicots avec des fées diverses – existe un temps d’orages mais en corps beaux. Dès lors – en dépit de visions apocalyptiques -, de toutes opprobres l’auteur nous sauve. D’autant qu’il sait tirer toujours le drap sur lui mais surtout pas celui des morts. Juste celui imprimé de ses mots dont leur cas d’X gravite pour expulser du risque tout théâtre masochiste.
Bref, Thireau est malin par sa mécanique physique de la gravitation non au point carré mais sur la pointe des pieds pour surprendre des femmes en parures d’ocres et de lapis, de baumes et de parfum. Si bien que dans ce livre le désir de la mort fascine mais le plaisir tue. Et nos os eux-mêmes, qu’ils soient de quartz et de granit, charpentent l’énergie contre la mort que l’on se donne ou qui nous est donnée (exception faite bien sûr et forcément de la petite). Sachons donc bien lire un tel poète à la fois sage homme et femme. Accoucheur d’espoir des écorchés, il nous apprend à ne pas agiter nos gouffres à mère de nos souffles. D’elle – de nos doigts – n’effleurons plus son ombre. Ne tenons-nous pas sur son seuil puisque toute enfance est bue ?
Au nom de qui et quoi nous maltraitent, le poète comprend que de nous restent toujours nos inconduites forcées. Elles deviennent la selle de nos alter. Profitons au besoin les faire venir quand il pleut. Toutes mouillées, leur fluide fait notre substance. Thireau s’y connaît : il retourne « leurs graisses émouvantes » moins au gré des boules qu’aux « houles nostalgiques». D’où une telle écriture altière, apaisée et douce plus qu’à mère (voir ci-dessus). Cette poésie fait renaître des paysages. Face à la nuit, voici la lumière. Chacun retrouve ses couleurs. Le présent ne se déduit plus du passé. Une montée engendre un recueillement, une attente. D’où l’implicite évangile selon Thireau : A tous, montons nos amantes potentielles. De nous, elles seront toujours satisfaites – grâce au poète (et peut-être dès nos forages anciens plus aux Sarah qu’au Sahara). Notre crâne rit de telles danses. Et si sarabande, pourquoi pas nous?
jean-paul gavard-perret
Philippe Thireau, A l’aube des baisers sans tain, Tarmac éditions, 2025, 60 p. – 15,00 €.