Peindre de Jacques Cauda : au-delà du plaisir de voir !

Peindre de Jacques Cauda : au-delà du plaisir de voir !

Jacques Cauda est un artificier de fils tendus vers l’inconnu et l’infini que les imbéciles étendent sur leur balcon, croyant les sécher tandis qu’ils les assèchent. Truands d’eux-mêmes, en lisant un poème, ils se croient enchristés : pauvres gnous pygmées qui ne saisissent pas que Cauda est libre de ton et d’anecdotes.
Cauda est l’anti-dicton à qui on ne pourrait appliquer ce mot de Schopenhauer pour qui la stupidité substitue « à l’attention qui examine les choses l’intention qui les préjuge ». Il y a de pauvres popoètes qui ne sont que des créatures ministérielles. Jacques Cauda est un trompe-l’œil qui mime un faux-semblant disant vrai à la lumière d’un œil-de-bœuf. Car Jacques Cauda n’existe pas. Jacques enfonce un coin dans Cauda et, inversement, créant mille Jacques et mille Cauda qui réitèrent l’exploit infini de l’ubiquité.

Cauda, puisqu’il est nécessaire de le nommer pour le besoin d’un article, est une poupée gigogne passée à la scie égoïne. Il sublime l’idée de périphérie du centre en riant du centre de la périphérie. Pour lui, le monde n’est pas un panorama. Il relève du foutraque d’apocalypse ou d’une ordonnée du cataclysme. Après les physiques classique et quantique, il invente la caudique, un rien caustique. Cauda est un chaos qui chancèle sur la dune du bonheur, puisqu’il sait comme tout s’avère fragile ; la muflerie est générale, il ne cède néanmoins pas ses parts de poésie à cette holding du cynisme. Écoutons-le qui s’élance : « la terre est pute et je roule vers la mort / … Il y a un profond désir de ne pas voir le réel qui fait voir l’image ». Puis, échotier de Rilke, « la mort sans rien d’autre que la mort ramassée / sur son corps qui tombe » alors que l’Austro-Hongrois écrivait : « car ce qui fait la mort étrange et difficile, / c’est qu’elle n’est pas la fin qui nous est due / mais l’autre, celle qui nous prend / avant que notre propre mort soit mûre en nous ».  Cauda « récite la démence » également. Chez lui, le soleil ne brille pas à blanc et les nuages s’amourachent de leur merveilleuse nature.

Les vrais écrivains ont un monde à eux. Avoir un monde à soi requiert de traquer le faux-monnayeur que nous abritons tous et qui mélange l’encre sociale avec le papier recyclé des autres. Ce ne sont pas des mannequins machinaux. Cauda biche le beau et biseaute le laid dans le miroir duquel il ne voit que la splendeur, c’est-à-dire « le portrait (qui) nous montre les mots que nous sommes devenus ».
Peindre est donc « une vocalisation ». Les écrivains qui se casent immédiatement sont des écrivants. Ceux qui ne se casent pas sont des pauvres diables de stylistes. Les premiers rançonnent leur propre bêtise en vue d’ériger une statue à leur médiocrité malpropre. Les seconds sont à l’affût d’eux-mêmes comme des voyous le sont d’un mauvais coup. C’est ainsi qu’on atteint ce qui est extérieur « à ce que l’on est », l’intérieur de soi, cette part étrange de l’humanité qui dépose le sordide et emmagasine des vers comme des élongations d’elle-même.

Dans cette perspective, les écrivains sont toujours des « agneaux d’atelier », éloignés « des intestins (qui pendent) comme des boas obscènes ». Être soi relève de la bévue quand l’intimité guerroie contre le surlendemain. Et peindre implique le « ô du voir… le vice versa… Cauda écrit encore dans la peinture ». Écrire, désormais, c’est combattre à mains nues le royaume des mufles qui s’étend partout. Cet empire, au sein duquel le silence officie comme dahu, dévaste tout.
Ainsi, Jean Renoir, parlant de son père, raconte qu’un visiteur du peintre lui dit : « ce que j’aime dans le cognac X, c’est que chaque bouteille est d’une qualité égale aux autres. Jamais de surprise. – Quelle bonne définition du néant (répond Auguste) ». Si on ne peut définir la poésie que de manière apophatique, la muflerie serait le masque de l’anti-poésie. Autre anecdote de Jean : « (un admirateur de Renoir lui dit). Vous devriez aimer ce peintre. Il peint des pauvres… (Renoir de répondre) Il n’y a pas de pauvres en peinture ».

Cauda l’illustre facétieusement : son cœur n’est-il pas une pivoine potentielle ? Ses vers éclatent en chevrotines, loin des pinces à linge avec lesquelles on suspend les fonds de culotte lyriques. Cauda nous réjouit à mille lieues des grasses matinées du récit.

Jacques Cauda, Peindre, Editions Tarmac, Nancy, 2018, 72 p. – 14,00 €.

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