La poésie verticale de Nadège Cheref (La chair équivoque): entretien
photo de Patrick Grin
Sensible, sensuelle, parfois blessée, toujours poreuse aux émotions, Nadège Cheref est une poète de la passion et de l’amour. Telle est son existence et aussi la puissance de son écriture. Éprouvant parfois angoisse et solitude, et des remugles de son passé affectif, elle répand la lumière du présent dans sa poésie verticale avec un regard intense. Comme Sade, ou mieux : Parménide, elle sait regarder de plus près l’amour et la contemplation d’un corps qui s’enroule autour d’un autre. Mais la raison de se phagocyter est proscrite, tant s’en faut. L’auteure sait exprimer ce qu’il en est de la jouissance bien que son « pas tout » (Lacan) ne se réduit pas un niveau élémentaire de sa substance : pour elle, seule l’amour sauve.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Tout simplement le fait d’être en vie, d’avoir envie de vivre.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Malgré le fait que l’enfance soit très présente en moi, je ne me souviens pas vraiment de mes rêves, de mes aspirations. Je dirais peut-être des rêves d’amour et d’horizons lointains qui restent inassouvis.
A quoi avez-vous renoncé ?
À l’argent.
D’où venez-vous ?
Cela dépend de quel point de vue on entend la question. Je viens d’un univers qui n’est sûrement pas celui dans lequel évolue la plupart des gens. Je suis très sensible. Disons que je m’adapte. L’art m’aide beaucoup. Sinon, je viens de Montreuil. J’ai vécu dans une cité, la cité de Grands Pêchers, toute mon enfance et mon adolescence. Un endroit cosmopolite. Cela a façonné ma manière de voir le monde. Et je reste très liée aux lieux et aux quartiers populaires.
Qu’avez-vous reçu en « héritage » ?
Le manque d’amour. Et les conséquences sont malheureusement désastreuses concernant l’estime de soi. Je dirais que ma chance réside dans l’envie de créer, qui a toujours été présente en moi.
Un petit plaisir – quotidien ou non ?
Faire l’amour.
Comment définissez-vous votre vision de la poésie ?
La poésie est un langage qui permet d’interpréter le monde, notre vision du monde, nos émotions, nos sentiments, des émotions à travers une perception presque chamanique. Les mots, souvent, précèdent la pensée, c’est fabuleux. C’est après, souvent, quand le poème est « terminé » que l’on comprend. Et là, je dois dire que c’est particulièrement jouissif. Furtif, mais jouissif.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
La naissance de mes enfants. J’aurai cette image jusqu’à la fin de mes jours, un bonheur immense.
Et votre première lecture ?
Mes premières lectures de romans remontent à mes 10 ans. C’était Emilie et Charlotte Brontë, Daphné du Maurier, Théophile Gautier, Marcel Aymé… Avant mes 10 ans, je lisais beaucoup de contes, énormément de contes et je les aime toujours autant.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’adore la musique. Tous les soirs, c’est comme un rituel, j’écoute de la musique. J’écoute essentiellement du rock, du blues, du jazz. Surtout du rock des années 60 et 70.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
L’intégrale de Rimbaud, je ne m’en lasse jamais. C’est mon livre de chevet.
Quel film vous fait pleurer ?
Je ne sais plus. Je pleure facilement devant les films…
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je vois une femme qui a vécu de nombreuses épreuves mais qui aime la vie par dessus tout.
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Stéphane et à Johann. Des amours de jeunesse.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Jérusalem.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez la plus proche ?
Je dirais Antonin Artaud, Bukowski, Nabokov, Ferlinghetti, Basquiat, Giacometti etc. Il y en a beaucoup mais ce sont ceux qui me viennent à l’esprit instinctivement.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
De l’amour. Du véritable amour, c’est tout.
Que défendez-vous ?
La liberté. Sans hésitation et dans les tous les domaines.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
J’ai du mal avec la psychanalyse et surtout avec Lacan. L’amour pour moi, c’est accepter l’autre tel qu’il est et surtout pour ses qualités. On a tous des défauts et des qualités, bien entendu, mais ce sont surtout les qualités qui priment pour moi, car certaines sont rares et effacent tous les défauts de l’être aimé… Et l’amour est avant tout partage.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
J’entends cette phrase avec beaucoup de cynisme, le génialissime cynisme de Woody Allen. Pourquoi répondre à toutes les questions que l’on nous pose ? Sont-elles au fond si importantes ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Est-ce que je suis heureuse ?
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret, pour le litteraire.com, le 14 juillet 2025.