Gilles Deleuze, Sur la peinture

Gilles Deleuze, Sur la peinture

Le monde et la peinture

De 1970 à 1987, Gilles Deleuze a donné un cours hebdomadaire à l’université expérimentale de Vincennes, puis de Saint-Denis à partir de 1980. Les huit séances de 1981 (les seules retrouvables en leur entier) sont retranscrites et annotées dans ce volume entièrement voué à la question de la peinture.

La première séance est consacrée à la catastrophe en peinture, de Turner à Cézanne. Deleuze y émet comme condition préalable à la création « l’affrontement du chaos et l’acte de peindre comme catastrophe. » Le tableau y est considéré comme « synthèse du temps », entre autre à travers la lecture des textes de Klee et ses « deux moments du point gris » – celui du chaos et celui qui devient matrice des dimensions – avant de finir sur la lutte contre les clichés chez Bacon et la notion de diagramme chez Van Gogh.

Dans la deuxième séance, il examine la méthode de Gérard Fromanger, puis l’opposition entre figure et figuration chez Michel-Ange avant un retour à ses analyses de la peinture de Bacon, ses transports et ruptures de ressemblances puis il précise les cinq caractères du diagramme : le chaos-germe. l’ensemble manuel trait-tache opposé à l’ensemble visuel ligne-couleur, la tache et trait versus les couleurs et les lignes picturales, le fait pictural et le maniérisme, la voie modérée de figuration comme mesure du chaos et ce qu’il nomme les dangers du diagramme dans l’expressionnisme et ceux du code dans peinture abstraite.

Au sein de la troisième séance, le philosophe montre comment affronter le chaos de la vie moderne selon les trois positions diagramatiques ( expressionniste, abstraite, figurale) et il revient sur le brouillage des codes en examinant déjà les rapports de l’analogique et du digital et en revenant en fin de cours sur  l’’Essai sur l’origine des langues  de Rousseau.
Il poursuit dans les séances suivantes l’examen des différents processus de l’analogie par similitude (physique organique, esthétique) ainsi que les espaces-signaux à partir des données de l’espace égyptien, puis en analysant le triangle génétique des couleurs de Goethe et le cercle (structural chromatique). Le tout, avant une plongée dans les oeuvres de Delacroix et les impressionnistes, Gauguin et un nouveau retour de l’Égypte dans la peinture moderne puis la disjonction des plans via « L’art grec, tactile-optique. »

Suit l’analyse du rythme dans la statuaire grecque et « le moule intérieur ». Puis celle de la chair et de la couleur au XVIIème et XVIIIème siècles, entre autres chez Wölfflin avant l’évoquer les modulation de la couleur chez Delacroix, les impressionnistes et les postimpressionnistes. En découle enfin « les trois méthodes de la colorimétrie » de la Renaissance, chez Caravage, Rubens et jusqu’à Seurat, Pissarro, Cézanne Van Gogh et Gauguin et son « rompu » qui fait passer de la couleur-structure à la couleur-poids.

Une telle analyse n’est pas sans ouvrir bien des débats qu’il serait trop longs d’évoquer ici. Retenons pour finir l’essentiel : à savoir, que la philosophie n’a pas à apporter quoi que ce soit à la peinture. Et Deleuze d’ajouter : « Ce n’est peut-être pas comme ça qu’il faut poser les questions. »
Il vaut mieux, et grâce à lui, poser la question inverse : savoir ce que la philosophie attend de la peinture et que seule elle peut lui donner. C’est ce que tout ce cours tente de démontrer.

jean-paul gavard-perret

Gilles Deleuze, Sur la peinture, édition préparée par David Lapoujade, Editions de Minuit, 2023, 352 p. – 26.00 €

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