Éric Chevillard, Sans l’orang-outan
Dans ce qu’on osera appeler un pastiche d’apocalypse, E. Chevillard offre une description de fin de monde précise et dense. Respect
C’est une figure assez classique du rock’n’roll. On appelle ça tourner le dos à son public. Au sens propre : Bob Dylan lançant à son groupe un rageur « Play it fuckin’ loud » avant d’entamer « Like a rolling stone » alors que le public anglais sifflait son set électrique pendant la mythique tournée de 1966, comme au sens figuré : l’album In utero de Nirvana, âpre et rugueux après le pop et populaire Nevermind. Par exemple.
L’exercice est à ma connaissance plus rare en littérature. Peut-être parce que dans ce domaine la volonté de construire une œuvre est plus forte ; la notion d’éphémère qui préside à la création rock’n’rollienne doit être moins pertinente quand il s’agit d’écriture.
La présence concomitante sur les étals cet automne de Sans l’orang-outan et de Oreille rouge, tous deux aux éditions de Minuit mais le second en collection de poche, invite néanmoins à considérer cette tentation pour Éric Chevillard.
Il y a deux ans Oreille rouge avait été acclamé par la critique. Cette parodie de littérature de voyage se dévorait. Chaque paragraphe apportait sa part de jubilation :
Vingt fois ses chiquenaudes ont envoyé au loin la fluette araignée jaune qui courait sur sa page, vingt fois elle est revenue. Puisqu’elle se plaît tant ici, il la naturalise dans son noir petit cahier de moleskine en refermant celui-ci sur elle. C’est justement une espèce qu’on ne trouve pas en Europe. Hélas, de telles aubaines ne sont pas si fréquentes. L‘hippopotame qu’il s’est juré d’approcher durant son séjour ne se laissera sans doute pas coincer aussi facilement.
La caricature était rondement menée, drôle et fine. Pétrie de joie et de bonne humeur. Facile et inoffensive pour le lecteur.
Lorsque naïvement, ou fidèlement, on s’empare de Sans l’orang-outan, on s’attend, un peu, à la même chose. Le titre peut-être. Et puis une quatrième de couverture qui n’avertit en rien du ton dramatique du dernier opus d’Éric Chevillard.
L’humour n’a certes pas totalement disparu, du postulat de départ – la disparition des orangs-outans de la face de la terre mène l’humanité au chaos – à quelque saillie de-ci de-là (j’ai retenu, pour mon usage personnel et professionnel : Tandis que Pénélope sottement faisait et défaisait sa tapisserie, la mère d’Ulysse lui tricota douze bons pull-overs, dix écharpes et quatre-vingt-douze paires de chaussettes. Agissons !), mais à la lecture de Sans l’orang-outan la gorge se serre plus qu’elle ne se déploie.
Comme Oreille rouge, l’ouvrage est décomposé en trois parties, selon un ordre chronologique : le premier temps expose les conditions du départ des orangs-outans, le troisième fait écho à ces récits de science-fiction où un groupuscule de survivants organise la vie, le jour d’après, au milieu des décombres. Mais c’est la seconde partie, le cœur du livre, qui marque. Dans ce qu’on osera ici appeler un pastiche d’apocalypse, Éric Chevillard offre une description de fin de monde, précise et dense. Violente et lourde. Dure, jusqu’à en être ardue pour le lecteur.
Respect.
g. menanteau
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Éric Chevillard, Sans l’orang-outan, éditions de Minuit, septembre 2007, 187 p. – 14,00 €. |
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