Colin Lemoine, Hélène Cixous, Parlure
Passion-Cixous
Dans ce superbe et rare hommage, le devoir de la réalité est de rêver. Mais pas n’importe laquelle. A sa manière, « Monsieur songe ». Sa mémoire ici ne se perd pas dans le passé d’Hélène Cixous mais dans sa voix, son écriture, son physique, son érotisme. Colin Lemoine imagine des souvenirs devenant le prédateur physique, métaphysique et ailé de celle dont la « bouche est un fruit de fraise et de cerise » et ses « ventre et vulve » son havre.
Pour lui, tout l’enchante et le fascine dans ce qu’Hélène Cixous crée : à savoir, de l’infini sans trêves. Par sa passion pour elle, il avance dans son secret, remonte à sa surface car forcément les mots le noircissent. Existe là un travail de piété, franchise et de presque folie, entre liberté et désinvolture. L’un est l’irresponsable brouillon. L’autre, la fée autobiographe.
Telle est donc leur parlure en un vocabulaire parfois tordu chez la poétesse mais dont les lignes sont droites. A chacun d’ailleurs ses cavernes où universaux et animaux s’épanchent. Après tout, leurs locuteurs sont semblables à un tel couple.
Jamais n’avait existé jusque là un texte aussi beau et intense sur une telle auteure. Peut-être lisant ce livre (d’amour), est-elle (parfois) en colère, mais sa patience et son impatience à dévorer de telles pages l’apaisent. Elle comprend et savoure que son laudateur sait que son inconnu l’attire. D’autant que, de la propre ignorance de l’auteur, la créatrice a toujours réglé ses erreurs.
En conséquence, une telle bible signale deux renaissances. Colin Lemoine sait que les recherches de l’auteure trouvent leur place au-delà de l’Histoire. Dans cette « adresse », l’émissaire et la réceptrice sont enchaînés à une parole qui libère le silence parfois plus bas que le divin. Mais si l’une et l’autre parfois s’endorment avec des souvenirs de la pensée, tout est fait pour réveiller un rêve oublié contre les cauchemars.
Dans cette ode première, la parole devient naturelle au risque de connaitre les limites de deux existences. Les mots de Lemoine disent la voix et l’écriture de celle qui voulut sauver son enfance avec et au besoin des lettres « illisibles ». Par amour, le « parleur » les traduit. Et c’est magnifique. Son cœur bat au rythme de Cixous. Son vide danse entre chaque lettre. Pensons alors à deux vers de Galaup de Chasteuil : « Je suis je ne suis plus je changerai mon estre / Cependant je seray tant que tu soys icy ». Et ici, Cixous comprend ce que de tels mots de Colin Lemoine font et fondent.
jean-paul gavard-perret
Colin Lemoine, Hélène Cixous, Parlure, Editions des cendres, 2025, 24 p.