
Claude Luezior, Une dernière brassée de lettres
De toute sa fantaisie verbale, Claude Luezior prouve qu’il est un drôle d’oiseau. A partir de nos vies de courgettes, il renvoie sous forme de lettres testamentaires de quoi égayer notre « moi » (du moins ce qu’il en reste) à travers le sien diffracté en multiple facettes jusqu’à sa synthèse finale lorsqu’il s’adresse directement à son propre fantôme : « Vous, mon pauvre Fantôme, vrai spectre trop candide, vous errez comme une âme famélique. Alors voilà : j’ai peut-être une solution. L’autre jour, j’ai trouvé, sur le rebord cotonneux d’un nuage, une étrange clef. Je crois bien qu’elle correspond à la serrure d’une porte un peu spéciale : celle du Jardin Premier ».
Qui sait ? Ne pourrions-nous pas y faire la fête avec nos semblables, nos frères. Quoique, et s’ils nous ressemblent vraiment, ils doivent hanter les enfers. Mais qu’importe. Et en attendant, Luezior poursuit son chemin de récapitulations intempestives. Nécessité oblige, il passe par la maison de retraite où, avant de rejoindre le Grand Patron – entendons Dieu le père si souvent privés de repères puisque nous l’avons inventé –, les hères « juste après la biscotte du soir » tournent le bouton de la télévision avant de retirer la prise, de mettre leur couche et s’enivrer de camomille.
C’est peu diront certains : on a déjà fait mieux. Mais Luezior rappelle qu’on ne peut être et avoir été. Néanmoin,s avec « dix grammes d’écriture » il est encore temps de mettre le feu au « désert d’ennui » de Baudelaire qui ignora tout de la vieillesse. Preuve que la poésie n’est pas une langue morte même lorsque la camarde fait de l’œil. Avec notre vue devenue basse, on pourrait la prendre pour une belle femme.
jean-paul gavard-perret
Claude Luezior, Une dernière brassée de lettres, Librairie Editions Tituli, Paris, 2016.