Alexandra David-Néel, Auprès du Dalaï-Lama
C’est à bord du “Mishima Maru” que la chanteuse lyrique et orientaliste – qui va devenir exploratrice, féministe et bien sûr écrivain – Alexandra David-Néel quitte son mari et Marseille en 1911, convaincue que seul le contact direct avec les détenteurs de la Connaissance pouvait être probant . Elle ne retrouvera l’époux que 14 ans plus tard. Le voyage ne devait durer que quelques mois. Mais atteindre le « Grand Treizième » Dalaï-lama n’était pas une sinécure, d’autant qu’il était en exil.
L’aventurière se risque sur les pentes de l’Himalaya non sans recommandations officielles et grâce à une bourse que ses précédents travaux sur les philosophies orientales lui permettent d’obtenir lorsqu’elle a 43 ans. La fugueuse arpente l’Inde, la Chine, le Japon et le Tibet en s’immergeant dans les philosophies bouddhistes et hindouistes. Elle arrive en 1912 au Sikkim, se lie d’amitié avec le roi de ce petit Etat avant de rencontrer dans un monastère bouddhiste Aphur Yongden, âgé de 15 ans, dont elle fera son fils adoptif. Mais son objectif ultime demeure le Tibet et mieux encore la ville sainte Lhassa.
Partie de Chine avec son fils adoptif et un lama tibétain, Alexandra David-Néel gagne le désert de Gobi puis la Mongolie et enfin le pays du dieu vivant. Elle se déguise en mendiante tibétaine en mettant des crins de yack dans ses cheveux, se couvre d’un mélange de poudre de cacao et de cendres pour se noircir. Les voyageurs mendient leur nourriture, l’obtiennent souvent en échange de prophéties. Cela lui permet d’observer de tout près les mœurs des pays qu’ils traversent.
« Une cinquantaine de kilomètres de bois, une vallée torride et fièvreuse à parcourir de cette façon suffisent à établir une barrière entre Kalimpong et la vie anglo-hindoue qui s’est juchée à Darjeeling » écrit celle qui, peu à peu, se rapproche de son but non sans avoir traversé plusieurs rivières accrochée à un câble et avoir passé des cols à plus de 5000 mètres d’altitude.
Alexandra David-Néel écrit à son mari qu’elle arrive à Lhassa « réduite à l’état de squelette ». Mais, avant, les voyageurs courent encore bien des dangers et ils sont contraints de manger le cuir de leurs bottes dans une soupe pour ne pas mourir de faim. Puis « La mystérieuse Rome du monde lamaïste » est en vue. Alexandra David-Néel peut s’écrier « Lha gyalo ! » (les dieux ont triomphé !) en atteignant le palais forteresse du dalaï-lama. Son engagement et ses références nombreuses l’intrigue et il accorde pour la première fois une audience à une femme occidentale.
L’auteure raconte ses rencontres avec la déité vivante en rassemblant ce qu’elle dit à Bombay à son retour, lors de nombreuses interviews, avant d’être accueillie en 1924 au Havre en héroïne. Le récit est passionnant et souligne cette traque et recherche d’une vérité qu’elle éloignge de bien des idées occidentales reçues. Existe dans ce texte le plaisir de faire sortir de l’ombre une sagesse qui permet de prendre conscience de soi face à certains dressages mais sans chercher à prêcher.
Si bien qu’un tel texte peut être tout autant lu comme un formidable livre d’aventures. Et non des moindres.
jean-paul gavard-perret
Alexandra David-Néel, Auprès du Dalaï-Lama, Editions Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2018, 40 p.
