Ce roman behaviouriste est une merveille de poésie là où tout se résume en cette phrase de la narratrice : “Il ne faudrait pas dire nature morte. Il faudrait dire vie silencieuse”. Et l’auteure extrêmement talentueuse et jeune metteure en scène de préciser son but : “Je voulais raconter ça, l’histoire d’une famille de pasteurs qui perd la mémoire. Traiter d’un drame, avec le plus de lumière possible. ”
Tout se joue dans le silence et la foi au coeur d’une famille vouée à une forme de contemplation. L’auteure décrit le cerce de famille sans complaisance et par courts fragments : “Je suis installée de biais, de manière à ne voir du visage de Opa que la haute crête du front plié, la vallée s’étendant du creux du nez jusqu’à l’œil gauche, la rivière des lèvres. La peau pendante de son cou qui rougit, transpercée par le faible soleil du mois de mars.”
La narratrice décrit e quotidien le plus austère avec une précision maniaque où infuse une sourde ironie. Le pus souvent, les corps restent immobiles dans la lumière et les personnages soumis à des rituels austères au nom du père qui, dans son lit prend, une forme trop grande, “celle des anges que l’on dessine dans la neige.”
Tout est de l’ordre de l’attente avant que le drame éclate et que la narratrice propose sa version implicite de “Famille je vous hais”. Elle passe des heures à regarder son père s’assoupir et se réveiller, veille “à changer l’eau de la cruche 500 ans de la Réforme” et compte ses cachets.
C’est beaucoup pour une seule femme, même si un frère parfois “s’allonge près de nous. Il dépose un baiser sonore sur le front de Papa” en disant :“plus qu’un mois et je suis pasteur, t’imagines ?”. Le père et ravi. Sa file moins, et c’est là le début, par une ascension, d’une sorte de descente aux enfer renversante, subtile où les non-dits même en restant ce qu’ils sont deviennent des fêlures incisives qui font de ce roman une véritable révélation.
S’y quitte la nuit de la religion pour voir le jour.
jean-paul gavard-perret
Emma Doude van Troostwijk, Ceux qui appartiennent au jour, Éditions de Minuit, 2024, 176 p. — 17,00 €.