Dominique Ristori, Taille Patron

Du pays empaillé

Domi­nique Ris­tori n’est pas un pro­fes­sion­nel de l’écriture mais plu­tôt des palais de la poli­tique — ce qui ne l’empêche en rien de filer dans la fic­tion pour dire ce qu’un simple témoi­gnage fini­rait par cacher plus que révé­ler.
C’est sous l’injonction de la direc­trice des édi­tions et de la revue “Edwarda” — qui a publié déjà plu­sieurs textes de l’auteur– que ce livre est né. Domi­nique Ris­tori en effet se sent bien dans un lieu lit­té­raire qu’on aurait qua­li­fié naguère de “des­sous le man­teau”. Il peut y avan­cer presque masqué.

Mais ici la nudité qui se cache n’est pas celle des cap­tures et séances que l’érotisme cultive. Et c’est aussi une occa­sion pour Edwarda d’élargir un champ d’investigation qui devient de plus en plus engagé et poli­tique mais sans culti­ver pour autant le moindre pro­sé­ly­tisme flé­ché.
Ris­tori est ici à la fois vrai mais roué. Il dit avoir écrit ce livre sous pré­texte de glis­ser une scène où serait ins­crit au mot près la phrase de Gide : “Comme j’entrais, elle jouait avec appli­ca­tion une sonate de Mozart sur un piano fraî­che­ment accordé”. Et ce, his­toire de géné­rer le plai­sir de faire réson­ner cette phrase.

Si bien que Sam Gue­limi (l’éditrice) devient la cause (déli­cieuse) du roman de celui qui connaît la musique (poli­tique) et ce, en un récit fluide en trois temps et un épi­logue aussi troubles qu’ironiques au fil du lan­gage et du temps jusqu’à la consé­cra­tion de Mit­ter­rand.
Sous une his­toire d’amour et une fin pour le moins en demi-teinte– mais bien plus -, sur­git l’histoire de la France et de l’Europe dans les années 70. Et ce moment est cru­cial car, comme le dit Mathieu Terence dans sa pré­face, le pays “est tombé dans le trou des halles pour en res­sor­tir hub ubé­risé coiffé d’espaces verts”.

La des­ti­née de la France mais aussi des hommes se voit décrite avec luci­dité et iro­nie par la vision de celui qui connut bien les arcanes de la poli­tique de cette époque. Il en devient le mora­liste désa­busé et sou­riant tant il est sans illu­sion sur ceux (à défaut de celles) qui régissent les des­ti­nées du pays.
Depuis ce temps, rien n’a changé — au contraire. C’est pour­quoi cette fic­tion est d’une actua­lité pré­gnante et une cri­tique acerbe d’un “nous” dans lequel l’auteur s’inscrit sans se cacher, là où les pre­nants sont vic­times de divers ava­tars plus ou moins humi­liants (syphi­lis comprise).

Le héros (Dan­toine) — sem­blable et plus que frère de l’auteur — n’y va pas avec le dos de la cuillère mais il sait que sa grande réus­site en tant que démo­lis­seur expert en tra­vaux publics est d’avoir duré. Il devient à la fois le spé­cia­liste des dupe­ries aux­quelles il a pu par­ti­ci­per plus ou moins mais aussi le non dupe des ava­nies d’Etat.
Preuve qu’un tel roman­cier pos­sède la faculté de repré­sen­ter le monde par un ima­gi­naire plus impor­tant que la réa­lité elle-même. Cela, pour dévoi­ler ce que cette der­nière cache. D’où cette élu­ci­da­tion jouis­sive des plus par­faits confor­mismes — signe que ce livre a toute sa place chez “Edwarda”.

jean-paul gavard-perret

Domi­nique Ris­tori, Taille Patron, Edwarda, Paris, 2023, 160 p. — 26,00 €.

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