Thibault Biscarrat, Cercles intérieurs

Le sur-poème

Il y a bien plus que de la lit­té­ra­ture dans ce recueil de poèmes de Thi­bault Bis­car­rat, car ses textes s’appuient sur une vie spi­ri­tuelle dense et qui ouvre le poème à une espèce de « sur-poème », un poème du poème.
Livre appuyé quant à lui sur Ibn Arabi, sur Thé­rèse d’Avila ou Jean-de-la-croix, en tout cas sur des textes fon­da­teurs de la haute spi­ri­tua­lité humaine. Et cette sphère de l’intellection intui­tive, si je puis dire, se conjugue en ajou­tant au monde maté­riel l’univers de la pen­sée — et de la croyance. Ici,
Noé, la Genèse, le Can­tique des can­tiques.

Je suis le secret des secrets, je suis la fin et l’origine. Mon souffle sculpte la voix des pro­phètes, je sculpte le chant de l’aède, des poètes. Le poème est une pro­phé­tie qui s’incarne à chaque ins­tant. Le poème se dirige vers mon âme. Je connais les secrets, les mystères.

Cela dit, cette poé­sie ne se para­lyse pas devant ce trai­te­ment méta­pho­rique — comme dans la prière où il faut sur­mon­ter tout esprit logique -, mais agran­dit les per­cep­tions spa­tiales et tem­po­relles, le hic et nunc, le lieu où arrive le poème, dont il est le fils, dont il est l’issue. Ques­tion de l’endroit, beau­coup, de la demeure, vrai iso­tope du lieu, mais sur­tout lieu de l’esprit en sa topo­gra­phie abs­traite.
Ici, des lieux pro­fonds, incar­nés par des voix de l’Esprit — comme on le dit devant le ten­ta­teur :
 L’homme ne vivra point de pain seule­ment, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. (Mat­thieu 4:4). Royaume inté­rieur, sans vraie fin (puisqu’il y a rédemp­tion), mais mystère.

Les hommes ont trans­crit en vain ma pen­sée : je suis la Torah, l’Évangile et le Coran. Je suis le dire de Dante et de Al-Mutanabbi. Je suis l’embrasement, la gloire de Lau­tréa­mont et d’Arthur Rim­baud. J’irrigue le sang des poètes. Je suis le Livre qui jamais ne s’achève, écrit dans toutes les langues et qui s’adresse à tous les hommes. 

En ce qui concerne le style, je dirais que nous sommes dans la mélo­pée, dans la rhap­so­die, dans un lyrisme un peu heurté, comme butant sur des angles de la pen­sée du poète, des attaques, des traits appuyés qui sont des traits de l’âme.
En der­nier lieu, disons aussi que le champ lexi­cal de la nature ici, se com­prend comme une créa­tion faite de créa­tures, sujets à un Dieu Pantocrator.

De ce fait, il me semble que l’on se trouve dans le champ höl­der­li­nien de la poé­sie, une poé­sie ascen­dante, habi­ta­tion du monde via l’extase que pro­cure la nature, la nature divi­ni­sée, sublime.
L’ivresse de l’amant du Cantique.

didier ayres

Thi­bault Bis­car­rat, Cercles inté­rieurs, éd. Conspi­ra­tion, 2023 — 9,00 €.

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