Solitude et liberté de Catherine Andrieu — entretien avec l’auteure (Refuge, journal de l’oubli)

Cathe­rine Andrieu, en magi­cienne, tisse des sor­cel­le­ries dis­crètes, rac­com­mode les clairs de terre à coup de ses songes. Ils bercent et inquiètent. Le ciel, ivre du germe de ces œufs de démence, demeure vierge et blanc. La créa­trice semble dire à l’homme : “Lève toi, jette la dépouille du monde et fait moi dan­ser”. Elle mêle Eros à Tha­na­tos et fait fondre le second dans la vitre du réel comme de l’imaginaire où sur­gissent des appa­ri­tions qui contiennent tous les âges.
Et ce, en une sen­sa­tion de l’ineffable. Ce der­nier, éty­mo­lo­gi­que­ment ne se parle pas, ne peut être ver­ba­lisé mais se découvre dans une telle recherche poé­tique. S’y pose la ques­tion du corps. Corps dési­rant, corps inachevé ou non et encore en sus­pens en en équi­libre instable.
Il y a là une pro­messe d’un autre hori­zon, d’une aven­ture fois poé­tique et exis­ten­tielle. Sur­git une pensée-corps. Elle donne forme à une inso­luble étrangeté.

Cathe­rine Andrieu,
Amours & jeux d’ombre,
Refuge, jour­nal de l’oubli,
Rafael de Sur­tis, Cordes / ciel, 2022, 38 p. et 40 p. — 17,00 € et 15,00€.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Voir le lever du soleil sur le port et la mer depuis ma ter­rasse, et en faire une photo comme chaque jour, la même photo du même point de vue jour après jour, avec un ciel chaque fois dif­fé­rent… Par­fois ma chatte aussi, quand elle a faim (Rires). Il fut un temps où je me levais à cinq heures du matin pour jouer du piano dans une urgence abso­lue ! Mais c’était une autre vie.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je crois pou­voir dire très hon­nê­te­ment qu’ils se sont réa­li­sés. Il y a la mala­die psy­chique, bien sûr, mais à six ans je vou­lais déjà écrire. Disons qu’à quatre ans je vou­lais deve­nir dan­seuse sur che­val ; puis, j’ai expé­ri­menté mes limites cor­po­relles, et j’ai alors décidé que j’écrirais sur les dan­seuses sur che­vaux. C’est exac­te­ment ce que je fais.

A quoi avez-vous renoncé ?
A une vie clas­sique et à une car­rière de pro­fes­seur de phi­lo­so­phie. J’étais trop malade et ma voie est deve­nue celle de la marginalité.

D’où venez-vous ?
Je suis une enfant de la Médi­ter­ra­née ; j’ai vécu dans une mai­son à l’aplomb d’une falaise sur la mer, que j’appelle la « Maison-bateau » dans mes livres. Ma patrie est la soli­tude et la liberté . J’étais une enfant rêveuse et contem­pla­tive, ima­gi­na­tive, pieds nus sur les rochers en ren­trant de l’école. Je me sen­tais seule, par­fois… En m’installant il y a deux ans à Royan après vingt ans à Paris, j’ai retrouvé la beauté d’une « Maison-bateau », mais sur l’océan.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
La plus belle chose qu’on puisse rece­voir : le goût de la langue et de l’étymologie et, si on peut par­ler d’une langue mater­nelle, je par­le­rais, quant à moi, d’une langue paternelle.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Me pro­me­ner giflée par le vent marin. Jouer du piano. Ecrire.

Com­ment orga­ni­sez vous votre jeu entre Eros et Tha­na­tos ?
J’y vois un dia­logue intime néces­saire à la créa­tion, puisque la jouis­sance visée par l’œuvre en train de se faire va de pair avec une forme d’ascèse ou pul­sion de mort. A vrai dire, les plai­sirs ordi­naires me sont étran­gers ou presque. Je passe presque tout mon temps chez moi à rêver, convo­quant des images qui nour­ri­ront ma création.

Acceptez-vous que je vous intro­nise parmi les femmes sur­réa­listes, les seules poé­tesses de l’amour fou et dans tous ses états ?
C’est un peu solen­nel, mais je l’accepte avec recon­nais­sance. J’ai fait pas mal de théâtre ado­les­cente et jeune adulte, et l’on voyait tou­jours en moi l’héroïne folle et amou­reuse ou amou­reuse folle. D’ailleurs, je ne savais faire que ça… Ça me pour­suit… Je suis une femme tragique.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Le tableau de Dali inti­tulé « Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une pomme gre­nade, une seconde avant l’éveil ». J’avais neuf ans et c’était mon pre­mier vrai choc esthétique.

Et votre pre­mière lec­ture ?
« Les nour­ri­tures ter­restres » de Gide. J’avais treize ans. Je cher­chais des mots comme « métemp­sy­cose » dans le dic­tion­naire et en appre­nais la défi­ni­tion par cœur. J’en fai­sais une lec­ture hypnotique !

Quelles musiques écoutez-vous ? 
De la musique clas­sique, Cho­pin sur­tout, mais aussi ce qu’on nomme des « chan­sons à textes ». Bras­sens, par exemple, Bar­bara, Ferré, Brel, mais aussi Hige­lin, Bashung, Gains­bourg, Bio­lay. Avec une men­tion spé­ciale pour Mano Solo, que j’adorais.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Il y en a deux, tous deux de Mar­gue­rite Duras. Mode­rato Can­ta­bile et Le ravis­se­ment de Lol V.Stein. Mais ça rend fou, l’atmosphère de Duras, ça rend mélan­co­lique au sens fort. Et il faut du temps, chaque fois, pour en sortir…

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Phi­la­del­phia”. C’est juste sublime.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
J’ai peut-être moins de culture lit­té­raire à pro­pre­ment par­ler, dans la mesure où je n’ai étu­dié que la phi­lo­so­phie pen­dant huit ans. Ainsi mes amis écri­vains se revendiquent-ils par­fois d’auteurs contem­po­rains que je n’ai pas lus. Comme je suis fon­da­men­ta­le­ment spi­no­ziste, j’ai ten­dance à accep­ter ce qui fait ma vie comme par­faite. Aussi me reproche-t-on par­fois un manque d’ambition. Je crois sur­tout que ce manque de réfé­rences me rend libre d’avoir ma propre voie en lit­té­ra­ture, singulière.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une enfant de quarante-quatre ans. Mais à vrai dire, la per­cep­tion exté­rieure que j’ai de moi n’est pas très stable. S’il s’agit du miroir de mon âme, je vois une femme qui n’a pas grand-chose au quo­ti­dien à part ses chats et ses poèmes, qui lutte contre une fou­tue mala­die, mais qui res­sent un amour pro­fond pour les gens et pour la vie, avec, presque tou­jours, un sen­ti­ment de gratitude.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Mar­gue­rite Duras. J’avais dix-sept ans quand elle est morte, et ça fai­sait des années que j’attendais d’écrire mieux pour lui écrire.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Col­lioure est le lieu où le récit de mon enfance s’origine. C’est à la fois une vérité et une mys­ti­fi­ca­tion. L’enfant libre y a été emmu­rée vivante, et c’est là que je vais la cher­cher texte après texte…

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
J’aime beau­coup les arts plas­tiques pour les avoir pra­ti­qués moi-même, alors je cite­rai tout à trac les expres­sion­nistes, avec une fas­ci­na­tion pour Van Gogh et Munch, Egon Schiele, Gau­guin, les sur­réa­listes, Dali, Frida Khalo, Picasso, le pop art ; plus proche, Garouste. Quant aux écri­vains, Spi­noza (sur qui j’ai tra­vaillé), Bau­de­laire, Rim­baud, Lau­tréa­mont, Ver­laine, Artaud, Nietzsche, Gide, Duras, Kun­dera, et de nom­breux contem­po­rains dont cer­tains me sont très proches (Rires !). Je découvre Houel­le­becq, j’aime beau­coup. Je me sens sur­tout très proche de la Your­ce­nar des Nou­velles Orien­tales.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
La résur­rec­tion de mon chat Paname, mais seul Dieu peut faire ce cadeau. Je ne désire rien d’autre.

Que défendez-vous ?
L’amour trans-espèces qui ren­voie à l’étonnement face aux mys­tères du Cos­mos et de la vie.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Ça m’inspire qu’il faut faire avec le manque essen­tiel. Com­ment com­bler un vide avec le vent ? Faire le cadeau de son manque à l’autre, dans le sens où je l’entends, c’est renon­cer à vou­loir lui offrir cette béance. Il fau­drait un mot-trou fon­da­men­tal comme « Dieu » pour com­bler ce vide existentiel…

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
J’en pense que W. Allen n’est pas contra­riant, mais qu’il souffre de troubles de la mémoire (Rires) !

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Si j’avais le temps d’y répondre…

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 8 novembre 2022.

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