La racine carrée du verbe être (Wajdi Mouawad)

La racine carrée du verbe être (Wajdi Mouawad)

L’incommensurable diagonale relationnelle

On assiste à un dialogue qui a lieu en 1978, qui prend la forme d’un quiz scientifique entre un jeune garçon et son interlocuteur imaginaire. L’intervention de questions sans réponse et de paradoxes scientifiques donne le prétexte pour imaginer plusieurs trajectoires de vie de l’enfant. Ces différentes hypothèses d’existence sont présentées selon que le jeune Talyani devient chirurgien reconnu, peintre iconoclaste ou meurtrier dans le couloir de la mort au Texas.
C’est l’occasion pour l’auteur d’explorer plusieurs situations limites : détresse du succès, force du condamné, fragilité de la création. Une fois définies les itinéraires, bien vite Wajdi Mouawad se plaît à les entrecroiser, les confrontant à la catastrophe de Beyrouth, survenue le 4 août 2020.

Justement, la deuxième période s’ouvre dans les décombres de l’explosion ; on découvre les personnes qui se meuvent parmi les ruines, constatant les dégâts, tentant de réinvestir les gravats. Les histoires familiales imposent à chacun une réconciliation forcée avec sa fratrie. Les gestes d’amour sont difficiles ; le texte se plaît à les multiplier, à les répéter dans une formule incantatoire : « je t’aime parce que je t’aime ».
Chacune des familles cherche à panser ses plaies par l’amour, un amour si pur, si simple qu’il en est ténu, inespéré, aussi réparateur que rare. Il s’agit encore et toujours d’une faute matricielle, d’un gouffre constitutif, entité qu’on approche sans jamais la nommer. Une plaie originelle, une béance qu’il s’agit de combler, dont on présume qu’il faudra la revivre pour la dépasser.

La troisième partie du spectacle s’annonce plus politique. Mais le soutien aux luttes collectives se heurte aux exigences de l’intime ; deux dimensions à jamais désunies. L’engagement nécessaire est loué sans jamais être présenté comme unique solution ; vivre ensemble semble supposer de résoudre d’abord les conflits avec les siens.
Les personnages des différentes intrigues déambulent désormais sur le plateau ; ils s’entrecroisent comme s’ils allaient à la rencontre des événements qui les constituent. Les trames des histoires dans lesquels ils sont pris s’entremêlent, sans que les différentes versions d’eux-mêmes ne se rencontrent, même si certaines scènes mêlent des répliques afférentes à plusieurs intrigues.

Wajdi Mouawad parvient à se renouveler en se répétant : il réussit à innover dans l’exploration de sa propre histoire, toujours réinvestie sous différents angles. Il présente une grande fresque réussie, au cours de laquelle les personnages principaux incarnent des êtres qui finissent par appréhender leurs propres gouffres. Il parvient à donner à tous les acteurs des rôles riches, à multiples entrées, qui rendent leur personnage attachant.
On assiste à une intrigue aux multiples entrées, au cours de laquelle les destins s’entrecroisent, et constituant une véritable mythologie de la confrontation au malheur qui nous constitue. A terme, une fête à Beyrouth, pour conjurer le sort toujours funeste, une aide à mourir au Québec, un inceste digne des tragédies antiques, une tentative de résistance de l’art.

On s’attendait presque à une épiphanie de la peinture, on se retrouve avec une résolution mathématique, heureusement poétique : l’incommensurable, hors de portée de tout calcul, est à la mesure de notre générosité.

christophe giolito

 

La racine carrée du verbe être

Avec Madalina Constantin, Jade Fortineau, Jérémie Galiana, Julie Julien, Jérôme Kircher, Norah Krief, Maxime Le Gac Olanié, Wajdi Mouawad, Richard Thériault, Raphael Weinstocket, Maïté Bufala, Delphine Gilquin, Anna Sanchez, Merwane Tajouiti de la Jeune troupe de La Colline.

© Simon Gosselin

Et Adam Boukhadda, Colin Jolivet, Meaulnes Lacoste, Théodore Levesque, Balthazar Mas-Baglione, Ulysse MouawadAdrien Raynal, Noham Touhtouh
et les voix deJuliette BayiMaïté Bufala, Julien GaillardJackie Ido, Valérie Nègre.

Assistanat à la mise en scène Cyril Anrep et Valérie Nègre ; dramaturgie Stéphanie Jasmink ; dramaturgie 1ère partie des répétitions Charlotte Farcet ; scénographie Emmanuel Clolus ; lumières Éric Champoux ; costumes Emmanuelle Thomas assistée de Léa Delmas ; conception vidéo Stéphane Pougnand ; régie vidéo en création Igor Minosa, Jérémy Secco ; dessins Wajdi Mouawad et Jérémy Secco ; musique originale Pawel Mykietyn ; conception sonore Michel Maurer assisté de Sylvère Caton et de Julien Lafosse ; maquillages et coiffures Cécile Kretschmar ; coutureAnne-Emmanuelle Pradier ; interprète polonais Maciej Krysz ; suivi du texte et accompagnement des enfants Achille di Zazzo ; répétiteur français Barney Cohen ; professeur de trompette Roman Didier ; avec la participation en répétitions de Yuriy Zavalnyouk ; en 1ère partie des répétitions Ralph Amoussou et Lubna Azabal ; stagiaires en scénographie Aline Boubée de Gramont et Fantine Guyot ; stagiaires à l’assistanat à la mise en scène Juliette Bayi et Büke Erkoç ; construction du décor atelier de La Colline – théâtre national.

À La Colline – théâtre national 15 Rue Malte-Brun 75020 Paris

01 44 62 52 52 – https://www.colline.fr/spectacles/racine-carree-du-verbe-etre

Grand théâtre, du 8 octobre au 18 décembre. Partie I mercredi à 19h30. Partie II jeudi à 20h30.

Intégrale samedi à 16h, dimanche à 13h30, vendredis 4 et 18 novembre, 2 et 16 décembre à 17h30
relâche lundi, mardi.

En intégrale samedi à 16h, dimanche à 13h30, vendredis 4 et 18 novembre, 2 et 16 décembre à 17h30

Ou en 2 soirées Partie I mercredi à 19h30 • Partie II jeudi à 20h30 du 21 au 30 décembre
Intégrale à 17h30 relâche du 24 au 27 décembre.

Représentations supplémentaires les vendredis 25 novembre et 9 décembre à 17h30.

 

Production La Colline – théâtre national
avec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet
remerciements à Jason Adkins, Gilles Clément, Michel Derain, Vassilis Doganis, Arnaud Gaillard, Francis Hallé et au Dr. Hassan Hosseini, Irène Jacob, Odette Makhlouf, Chloé Mazlo, Naji Mouawad, Étienne Parizot, Michel Thiebaut de Schotten, Semsemah, Jeanne Sulzer, Serge Tisseron.
Le cours de mathématiques a été relu par Naji Mouawad et Étienne Parizot. La phrase, en grec et en japonais, répétée par Wyo a été traduite dans ces deux langues par Vassilis Doganis.
Le triptyque est une œuvre peinte par Wajdi Mouawad.

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