L’écrivain américain — prix Pulitzer en 1940 pour Les raisins de la colère — traverse en 1947 une passe difficile. Il propose à Capa ce reportage en URSS pour voir ce qui a changé depuis son premier voyage en Union soviétique en 1936.
Capa, quant à lui, vient de fonder l’agence Magnum avec Henri Cartier-Bresson, George Rodger, William Vandivert, David Seymour et il a besoin d’argent. Le voyage est financé par un des grands magazine américains.
Durant les quarante jours que dure leur voyage en URSS où Robert Capa prend quelque 4.000 photos, les deux amis ont assisté, entre autres, à la célébration du 30ème anniversaire de la Grande Révolution d’Octobre. L’écrivain observe la vie quotidienne sans prérequis idéologique et ce, comme il a toujours su le faire.
Il visite des fermes, des usines, s’entretient avec des fonctionnaires du régime et avec des hommes du peuple. Par exemple il est reçu dans l’intimité des paysans ukrainiens. L’auteur évoque ce que Capa illustre : les ruines que la guerre a accumulées et l’émouvant par l’espoir de temps meilleurs qui anime le peuple soviétique.
Non exempt d’humour et d’une grande sincérité et d’une observation exacte, ce livre apporte bien des lumières sur un monde obstinément fermé. Suite à sa publication, les Soviétiques qualifieront les deux hommes de “hyène” et de “gangster”, tandis que la presse républicaine américaine y verrat un plaidoyer pour l’URSS de Staline.
De fait et en une sorte de suite au livre de Gide, Retour d’URSS (1936), qui fut en son temps voué aux gémonies, Steinbeck permet de comprendre la mentalité des apparatchiks, d’écouter ce que les citoyens pensent de Staline et du culte de personnalité et de saisir le quotidien des ouvriers et des paysans.
En ce reportage saisissant, rien n’échappe au regard critique de l’écrivain ( ni la lenteur bureaucratique allant jusqu’à l’obstruction, ni le culte de personnalité). Il est considéré comme le premier reportage “libre” en URSS.
Tout Steinbeck est là. S’y retrouve son “regard”, sa sensibilité et sa démarche impartiale et rebelle aux idées reçues. Comme toujours chez lui, le réel dans sa crudité reprend ses droits.
jean-paul gavard-perret
John Steinbeck, Journal russe. 69 photographies de Robert Capa, nouvelle traduction de l’anglais (États-Unis) par Philippe Jaworski, préface de Nicolas Werth, Gallimard, Albums Beaux Livres, , 20-10-2022, 304 p. — 38,00 €.