Héloïse Guyard est une artiste discrète et, dit-elle, “abstraite, minutieuse, envahissante, persévérante, consciencieusement pénible et sensible.” Elle porte attention aux petites choses en ayant soin de ne pas les abîmer. Elle répète avec ténacité le même motif “avec l’impression de n’avoir jamais terminé à force de refaire sans cesse la même forme”.
Mais c’est accorder une sorte d’éternité au geste — même si ce qui compte reste l’oeuvre accomplie. Tout part des motifs infinis issus de la nature aux à résonances desquels la créatrice répond par celles qu’elle crée en écho dans une sobriété de moyens. Et ce, avec délicatesse face un monde où prime le spectaculaire et auquel elle résiste.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Concrètement, pour les nourrir et les emmener à l’école, mes enfants. Plus sérieusement, mes enfants, mon mari, l’atelier et mes projets d’expositions, nos moments de lien avec les copains, les projets de soirées concert à la maison, mon jardin et les poules.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je crois qu’ils sont réalisés. Ah non, pas tous, je ne suis pas trapéziste ni petit rat de l’Opéra.
A quoi avez-vous renoncé ?
À des moments, j’ai cru avoir renoncé à des choses, mais en fait, non.
D’où venez-vous ?
De Panama, d’Argentine, de Paris, de Normandie.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
Le goût de lire, de danser, d’aller au théâtre et au musée, les grandes réunions familiales et amicales festives, et puis de planter des arbres, ou plutôt être les mains dans la terre et essayer de faire pousser des trucs.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
J’en ai plein ! Mais celui qui me vient à l’esprit, faire une pause au soleil dans mon jardin sur le banc en pierre à côté de la petite mare, en pleine conscience de tout ce qui m’entoure, le bruit de l’eau qui coule, des insectes qui butinent, les odeurs des plantes, la chaleur du soleil.
Comment définiriez-vous votre poétique plastique ?
Abstraite, discrète, minutieuse, envahissante, persévérante, consciencieusement pénible et sensible.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
La première je ne sais pas, mais le souvenir de ma première grosse émotion devant des peintures était lors de l’exposition de Mark Rothko au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris en 1999. Et aussi au Musée d’Orsay, lors d’une sortie scolaire, je suis restée fascinée par le premier plan du Déjeuner sur l’herbe de Manet, le panier renversé et les fruits.
Et votre première lecture ?
Un petit livre argentin pour enfant en forme de cartable, je ne me souviens plus de son titre.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Toutes ! J’ai une playlist extrêmement éclectique.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Le Comte de Monte-Cristo” de Dumas, “Les Cerfs-volants” de Romain Gary, “Le Baron perché” d’Italo Calvino, “Moon Palace” de Paul Auster, “L’usage du monde” de Nicolas Bouvier, “Une chambre à soi” de Virginia Woolf.
Quel film vous fait pleurer ?
C’est un peu ridicule, mais “Le Cercle des Poètes Disparus”, vu ado, m’avait bouleversée, il me fait encore pleurer. Mais je pleure souvent devant les films.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Héloïse.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Il n’y a personne à qui j’aimerais écrire particulièrement sans avoir osé.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Les plages des Sables Rouis et de la Belle Maison à l’Île d’Yeu. Ça n’est pas vraiment mythique en soi, mais pour moi elles ont une importance particulière. Et sur cette même île, qui a fermé depuis des années, le Bar de la Marine !
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Les artistes avec qui j’ai exposé, avec qui mon travail était en dialogue. Et puis tous ceux qui ont nourri mon travail ou qui me fascinent, Karl Blossfeldt, Pierrette Bloch, Henri Matisse, Kiki Smith, Anni Albers, Georgia O’Keefe, l’art aborigène, et encore beaucoup d’autres que j’oublie.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un appareil photo.
Que défendez-vous ?
La gentillesse.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
Je ne la comprends pas vraiment.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Cette phrase est plutôt enthousiasmante.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Aucune, c’est un exercice difficile pour moi de répondre à des questions.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 16 août 2022.