Rien de plus réjouissant et subversif que Le Journal d’Alix de Iegor Gran.
Désireux de tenir son journal, le personnage ouvre en mettant la barre très haut : “je veux manger cru un homme”.
Une telle écrivante devient le parangon de ce que Gran nomme une “sorte de féminisme radical qui aurait poussé les limites du féminisme jusqu’à cet acte absolument inconcevable qui est la diminution du patriarcat par sa consommation”.
Le ton est donné et la fiction devient explosive au moment où la forme du journal intime permet d’explorer ce que le personnage d’Alix a de plus secret pour se moquer des langages imposés d’en haut et des vertus de même provenance.
L’auteure brise les tabous en parlant à la place d’une femme. La trentaine, seule, elle regarde des séries sur Arte en attendant d’arriver à ses fins. Son androphagie qui paraît certes agressive est aussi une manière d’explorer une envie que personne n’ose avouer — que l’on soit le personnage, son auteur voire lectrices et lecteurs.
En 120 chapitres — ponctué chacun en final d’un “jeu” (Q.C.M.) que pose la narratrice avec une fausse innocence — ‚l’absurdité non de la diariste mais du monde éclate.
Et si la grande affaire est la manière de manger son patron, un amour pour une nouvelle arrivée dans l’entreprise n’a rien de superfétatoire.
Deux faims se superposent mais pas du même tabac.
L’auteure en profite aussi pour se moquer des ateliers d’écriture et leurs conseils. Chez elle, ils deviennent à double jeu entente eu égard à son désir premier sans qu’elle ait beaucoup à se creuser la tête.
Mais le livre reste une sorte d’appel à une liberté agressive là où le consensus devient le sang qu’on suce. Dès lors, le rire sans la moindre censure muscle l’âme jusqu’aux abdominaux.
jean-paul gavard-perret
Iegor Gran, Le Journal d’Alix, éditions POL, Paris, août 2022, 272 p. — 19, 00 €.