Isabelle Gil est la photographe du moindre, des petites choses. Celles qu’on oublie souvent de prendre le temps de regarder. Poussant ce schéma à l’extrême l’artiste a photographié de manière monomaniaque un de ces objets : un petit paquebot rouge. Elle le saisit partout. Peu à peu, ce corpus d’images a créé une histoire étrange, un tour du monde auquel l’écrivain Jean Rolin s’est intéressé. Ce jouet prit le rôle que tint la madeleine pour Proust. Il lui rappela le navire en celluloïd que sa grand-mère lui avait acheté sur un marché de Dinard. Le livre « L’Aventure » réinvente sa course folle et un voyage initiatique. Peu à peu, d’objet d’une chambre d’enfant, le paquebot devient personnage à part entière.
Cela arrive à tous les animaux et objets dont l’artiste « tire le portrait ». Ils deviennent des corps qui parlent. Isabelle Gil n’est donc pas la simple ouvrière photographe : elle est celle qui renverse le réel. Plus question de posséder le monde. Il s’impose en tant que traversée dont les photographies sont des passeuses. L’image souligne que les objets et les animaux ne nous appartiennent pas. Personne n’est à une autre. Reste un théâtre ouvert sur un mystère. Il couronne la raison d’une ironie nécessaire. Dans ce théâtre mental et physique, la joie musculaire du cerveau et le plaisir intellectuel du doigt lorsque qu’il tourne les pages éclatent. Toutes les choses attendent de telles images. Le spectateur aussi.
D’Isabelle Jaton : « L’Aventure », Editions de La Table Ronde, Paris, 2011, « Le musée des Ours », Ecole des Loisirs, Paris, 2012.
ENTRETIEN
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La lumière
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Des rêves d’enfant
A quoi avez-vous renoncé ?
A avoir un chien dans mon appartement, à l’espoir.
D’où venez-vous ?
Du poisson.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Le nez de mon père et une histoire.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Mes idées sur mon bureau.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
L’alcool et le tabac.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Je ne sais pas ?
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
Les chants de Maldoror.
Où travaillez vous et comment ?
Dans les décors que j’imagine.
Quelles musiques écoutez-vous en travaillant ?
Aucune au début, beaucoup à la fin quand je suis sur mon ordinateur et c’est très éclectique, Bertrand Belin : Hypernuit, en ce moment.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Point Oméga de Don Delillo
Quel film vous fait pleurer ?
Le tombeau des lucioles de Isao Takahata
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un animal.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Au père Noël.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La mer.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Roman Signer.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
De l’amitié et une grande tendresse.
Que défendez-vous ?
La fantaisie et l’illusion.Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Qu’un malentendu peut réussir.
Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?”
Je ne m’en souviens plus !
Présentation et entretien réalisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com le 28 mai 2013