Claude Pujade-Renaud, Dans l’ombre de la lumière

La sainte femme de madame Claude

Dans son roman, Claude Pujade-Renaud réin­vente à sa main (cares­sante) l’histoire de l’amour de jeu­nesse de Saint Augus­tin. Le phi­lo­sophe évêque ne l’évoquera que très (trop) par­tiel­le­ment dans ses Confes­sions. La roman­cière répare l’oubli. La concu­bine y appa­raît para­doxa­le­ment — et heu­reu­se­ment — moins à l’ombre du Saint que dans sa propre lumière. Certes, elle lui jure : «Il n’y aura pas d’autre homme que toi ». Elle n’a pas menti puisque selon la légende elle est entrée dans une com­mu­nauté de femmes. Ce qui ravit la roman­cière et jus­ti­fie son livre. L’éconduite expé­die le Saint : « On sup­pose que si Augus­tin n’a pas épousé son amou­reuse à 18 ans, c’est parce qu’elle était d’origine modeste » écrit la roman­cière. Mais ce contre-sens voulu au sujet des ori­gines sociales de l’aimée per­met à Pujade-Renaud de lui accor­der d’autres chattes à fouet­ter. Elle demeu­rera pour une part — mais une part seule­ment — la femme répu­diée. Et sera moins l’interdite de l’amour que, par l’amour, « inter-dite ».
Pour lui trou­ver un pré­nom, la roman­cière s’est ins­pi­rée de la légende de Didon. Ce nom est d’origine phé­ni­cienne : il devient Eli­shat en grec. Elissa est donc la femme aban­don­née et fidèle jusqu’au bout. Mais elle est aussi l’amante, l’errante, la récal­ci­trante. « Je lui fais vivre comme une renais­sance dans le contact sen­suel avec la nature et la lumière. C’est là qu’elle trouve une nour­ri­ture spi­ri­tuelle, tout en se tenant au cou­rant de la des­ti­née de son homme et en appré­ciant la force de ses écrits» dit Claude Pujade-Renaud. Elissa n’est pas pour autant plan­tée dans le mys­ti­cisme à tout crin. Et par beau­coup d’aspects, ce roman est un roman sub­ti­le­ment écrit à l’ombre des filles de Lesbos.

Le por­trait de l’héroïne est plus sen­sible et sen­suel que spi­ri­tuel et mys­tique. Certes, le bon Augus­tin reste en fili­grane. Il repré­sente une sorte de cau­tion morale (un quasi « re-père » ) mais sans plus. Elissa tient seule debout. Elle se sert de son ombre tuté­laire pour se pro­té­ger des misères que sa conduite (dis­crète) pour­rait éven­tuel­le­ment sus­ci­ter. Car si Augus­tin se démène face aux adeptes des diverses ten­dances du chris­tia­nisme de l’époque, d’autres « Mani­chéens » pour­raient prendre ombrage de la grâce par­ti­cu­lière d’Elissa, de son libre-arbitre et de ses choix.
Sous cou­vert d’un acte de chas­teté, Claude Pujade-Renaud pro­pose un por­trait bien plus sul­fu­reux qu’il n’y paraît. Se retrouve avec bon­heur la roman­cière des débuts. Celle du sublime Ven­tri­loque, celle qui ouvrit les portes de l’écriture à Anne Serre. Sou­dain, fic­tion ou non, sous la sainte femme il y a aussi celle qui tord la pen­sée. L’insomniaque rêveuse n’écrit plus pour que ses lec­trices trouvent le som­meil. Sous la luxu­riance des décors et des évo­ca­tions, le fémi­nin de l’être y est mis sub­ti­le­ment et sage­ment à nu. On y cherche quelqu’un. Quelqu’un de caché. L’auteur pour l’évoquer pos­sède une voix qui trouble et agite. Une voix à l’écart de ce qui est donné à lire habituellement.

Derrière la ligne géné­rale, tout se dis­tri­bue en seconde et en tierce. Car, au lyrisme flam­boyant, Claude Pujade-Renaud pré­fè­rera tou­jours les touf­feurs plus dis­crètes des alcôves. Elles per­mettent de pen­ser le mul­tiple de la fémi­nité et des roseurs impu­diques mais ô com­bien dis­crètes sous le bleu de ciel latin.

jean-paul gavard-perret

Claude Pujade-Renaud, Dans l’ombre de la lumière, Edi­tions Actes Sud, Arles, 304 p. - 21,80 €

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