Jean Streff, J’irai dans les rues sombres égorgeant vos fantômes

Entre sup­plice et infamie

Singu­lière aven­ture que celle de ce livre dont la pre­mière ver­sion date de 1963 sous le titre L’avortement de la nuit.
Cette fic­tion de jeu­nesse a connu bien des ava­tars au titre des pro­messes d’éditions (chez Flam­ma­rion et ailleurs). Il faut attendre 2022 pour que cette der­nière ver­sion trouve enfin un édi­teur courageux.

Elevé sous le joug de la reli­gion et des inter­dits, Jean Streff a pris le che­min radi­ca­le­ment opposé. Assis­tant de Pia­lat et de Béna­zé­raf, réa­li­sa­teur de courts métrages et du livre Le Maso­chisme au cinéma, il a fait par­tie à côté de Vanei­gem de l’aventure des « Edi­tions du Bébé Noir » puis des édi­tions anarco-érotique « La Bri­gan­dine ».
Il a écrit aussi des sce­na­rios pour la télé­vi­sion et des ouvrages sur le féti­chisme et le sadomasochisme.

Dans ses évan­giles selon lui-même, Streff prouve que la sexua­lité se décline en une infi­nité de féti­chismes excen­triques. C’est à eux que s’intéresse ce livre qua­si­ment impu­bliable. Car si des écri­vains comme Prigent et Nova­rina ont évo­qué l’animal humain par la “cochon­ne­rie” du lan­gage, Streff a choisi plu­tôt l’esthétique chers aux déca­dents de la fin du XIXème siècle.
A la langue pour­ris­sante il pré­fère celle de l’excès : elle est là pour mettre à jour le chant d’un tueur qui per­met à l’auteur de décli­ner les fan­tasmes les plus noirs et rouge sang.

Son héros devient un monstre carac­té­ris­tique, une sorte d’aberration lit­té­raire et de curio­sité patho­lo­gique mené jusqu’au sui­cide. La chair des mots fait sur­gir — non sans humour — l’étrange, l’anormal, le mal­sain.
L’outrage est là pour pous­ser le lan­gage à rele­ver les jupes (entre autres mater­nelles) moins pour mon­trer que dépe­cer de bien belles.

Le ter­rible devient l’adorable ou tout au moins l’abordable pour peu que nous accor­dions une forme de condes­cen­dance à la loi d’un genre qui pousse au rejet et à l’adoration en rien dans l’esprit du temps. Claude Louis-Combet, pré­fa­cier du livre, l’a bien com­pris. Qui d’autre que lui en effet pour mon­trer tout ce qui se joue en une telle fan­tas­ma­go­rie délé­tère ?
Elle per­met à Streff de se situer avec délice du côté de la cruauté, entre sup­plice et infa­mie, en une suite de mises en abyme jusqu’au dénoue­ment final et de régé­né­rer du sens voire une forme de rési­lience in-extremis en ce qui repré­sente de prime abord un baroque non sens.

jean-paul gavard-perret

Jean Streff, J’irai dans les rues sombres égor­geant vos fan­tômes, Edi­tions Douro, coll. La Bleu-Turquin, Paris, 2022, 78 p. — 10,00 €.

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