L’exposition absolue du langage à lui-même
Pierre Andreani sait maintenir le langage dans son état d’agitation en ce qui tient d’une autobiographe paradoxale où le narrateur “ému, fou, dissocié” amplifie ce qui jaillit de sa vie intérieure là où la nostalgie est métamorphosée par langage résonant.
Il crée la loi d’un régime “sentimental” décrit par Schiller en amont du romantisme allemand. Ce régime est moins celui des rêveries que des cauchemars.
Le “monologue” possède une capacité formatrice loin de la solennité et la pose, ces maladies chroniques de ce qui touche à la littérature. Les symptômes d’affaissement n’atteignent donc que l’existence du narrateur velléitaire, valétudinaire, inadapté. Mais son langage les relève, les rééquilibre. D’où cette nécessaire explosion en un énoncé battu par un effort de style via les choses et les évènements les plus bruts.
Apparaît non seulement l’air du temps “au milieu des années deux-mille”, mais ce qui le comprime et oppresse la possibilité même qu’il y ait du sens. L’ombre qui le traverse devient une force dont les cendres brûlent : le redépart d’un feu est toujours possible, car l’écriture résiste dans le chant d’une telle prose où le fond d’émission humaine continue.
Elle nous dispose à regarder non seulement le narrateur mais à affronter le réel souffrant dans lequel nous nous retrouvons. Car il y a bien des échos entre ce que dit le héros et ce que nous avons pu éprouver dans un monde où les nantis font la loi.
L’humiliation du narrateur engendre ainsi une affirmation qui ne bascule pas dans la négation parce que le texte crée l’exposition absolue du langage à lui-même de même qu’une disposition absolue du langage au monde. Si bien que celui qui se dit incapable de passer à l’acte, en un tel soliloque, ré-articule l’existence. Un tel “ratage” demeure épique par effet de la prose magiquement exemptée d’une tendance aux significations vagues.
Le langage reste une veille en un pouvoir formateur de la résonance au sein même du chaos qu’Andreani remue. Et ce, pour reprendre pied et existence.
jean-paul gavard-perret
Pierre Andreani, Monologue à la lanterne, Editions Douro, coll. Bleue Turquin, Paris, 2021, 84 p. — 16,00 €.