Ramasser la totalité de l’intelligible et du sensible
Christine Montalbetti entame un roman dans l’esprit du temps et d’une certaine littérature héritière de Georges Pérec et que l’auteure résume ainsi : ” oui, c’est bien ce qui va se passer ici, on va suivre sur une même journée ce que vivent au même moment plusieurs personnages.”
D’où l’aspect choral d’une telle fiction où chacun vit son existence en un même moment mais selon des trajectoires bien différentes. Un père, depuis sa fenêtre contemple son quartier au moment où son fils navigue en Méditerranée. Une femme fuit son histoire d’amour. Un exilé s’installe chaque matin sur un carton au carrefour du même quartier. Un marié erre dans la ville, après avoir accompagné sa femme à l’hôpital.
Mais ils ne sont pas les seuls. Il y a aussi la gardienne de l’immeuble, une hôtesse de l’air, une infirmière auprès de l’hospitalisée, un couple de jeunes voisins qui se disputent.
Chacun fait avec qui il est et ce qu’il a au moment où l’épidémie s’est installée dans les vies tandis que surgissent confidences et secrets douloureux. Les vies se trament ou se défont. L’isolement social donne lieu à un état particulier de peur et la recherche de sécurité et d’isolement. En ce face à face multiple, de nouvelles émotions deviennent suffocantes.
Chacun cherche de nouveaux chemins intérieurs pour éviter de succomber, de nouvelles directions, tandis que le temps passe lentement.
La romancière se fait guetteuse, un œil sur l’extérieur, un autre sur le dedans des êtres. la souffrance est là. Mais l’angoisse se métamorphose en une expérience intérieure, mystique et quotidienne qui pousse à la vie et sa reconquête.
Pour Montalbetti, penser la vie et l’écriture c’est ramasser la totalité de l’intelligible et du sensible. Et ne pas la résumer.
D’où l’importance implicite de Bergson et son refus des idées générales pour des moments particuliers.
jean-paul gavard-perret
Christine Montalbetti, Ce que c’est qu’une existence, POL éditeur, Paris, aout 2021, 384 p. — 20,00 €.