Frédéric Metz, Quelques remarques concernant Bach (martelées) — à partir de motifs pris à sa vie

Du retour de la ritournelle

Il y a cer­tai­ne­ment plu­sieurs manières d’entrer dans ce petit livre (petit du point de vue de la pagi­na­tion mais bien plus dense qu’il n’apparaît) :  une Pas­sa­caille et fugue en do mineur pour orgue de Bach jouée au début des années 80 par une jeune fille à la Marien­kirche, l’église de Lübeck, là même où le jeune Bach se déplaça à pied depuis Arns­tadt en Thu­ringe pour venir y écou­ter le vieux maître Bux­te­hude, en est l’élément cen­tral comme ité­ra­tif.
Mais l’auteur insiste davan­tage dans sa pré­sen­ta­tion de l’opus sur la thé­ma­tique de la « vision », la per­cep­tion sco­pique, l’attention phé­no­mé­no­lo­gique occu­pant de fait nombre de pages – motif récur­rent mis en exergue à l’occasion par des ita­liques (mode typo­gra­phique de l’effet de mar­tè­le­ment recher­ché). Se joint aussi à ces deux entrées la ques­tion de la mémoire (par le tru­che­ment de la figure – au sens propre —  d’un frère trop tôt disparu).

Tout part certes de (et revient à la fin à) une erreur de per­cep­tion — influen­cée par un habi­tus qu’il reste à déter­mi­ner —   d’une jeune Alle­mande de vingt ans, per­sua­dée que l’un des orgues du tran­sept de l’église de Lübeck qu’on lui a mon­tré enfant est le plus grand d’Europe.
Mais, plus lar­ge­ment, tous les per­son­nages qui tra­versent le texte sont, tous à leur mesure, jouets d’illusions per­cep­tives qui déforment le réel : c’est qu’il en va de l’audition, de la com­pré­hen­sion voire de la cer­ti­tude comme de la vision – elles sont toutes en proie pos­si­ble­ment à des mutations/influences venant bou­le­ver­ser l’ordre de la re-présentation la plus pré­gnante, vient de facto inter­ro­ger le sou­bas­se­ment essen­tia­liste de toutes choses sai­sies par l’être humain.

Encore cette lec­ture peut-elle paraître fort (trop ?) phi­lo­so­phique au regard d’un texte – mis en avant sur la cou­ver­ture même en tant que « sotie » – que tout un cha­cun peut décou­vrir de façon encore plus simple (ce qui ne signi­fie pas moins inté­res­sante).
Soit en se lais­sant hap­per par la construc­tion, qu’on dirait de nos jours chan­tour­née et un rien alam­bi­quée, des longues phrases cise­lées par Fré­dé­ric Metz, lequel se joue avec féli­cité des arcanes du vieux style (tout en rehaut prous­tien) pour rap­pe­ler com­bien nous ne sommes par­fois, y com­pris lorsqu’aux prises de l’effusion toute amou­reuse, que ce que nous entendons.

De ce point de « vue », si l’on ose dire, ces Quelques remarques concer­nant Bach parues aux édi­tions Pont­cerq qui nous semblent témoi­gner de la joliesse inhé­rente à la scan­sion de la moindre ritour­nelle, consti­tuent – et ce jusqu’à leur chute incon­grue – un véri­table bijou récur­sif d’écriture.

fre­de­ric grolleau

Fré­dé­ric Metz, Quelques remarques concer­nant Bach (mar­te­lées) — à par­tir de motifs pris à sa vie, Pont­cerq, mars 2020, 58 p. — 6,00 €.

Leave a Comment

Filed under Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>