A la frontière des soleils — entretien avec Francesca Di Bonito

Fran­cesca Di Bonito, née en Ita­lie, vit et tra­vaille à Paris depuis 2004. De ses études artis­tiques et de son expé­rience du repor­tage, elle crée la matière de son œuvre pro­téi­forme radi­cale et iro­nique de pho­to­graphe et plas­ti­cienne qui intègre la per­for­mance, l’installation, la vidéo pour inter­ro­ger les dyna­miques socié­tales au centre des enjeux contem­po­rains.
Mais c’est bien la pho­to­gra­phie qui consti­tue le tissu nar­ra­tif majeur de ses récits. Elle donne du monde une esthé­tique et une nature inédites. La créa­trice méta­mor­phose divers types d’ “infor­ma­tions” par le détour­ne­ment du visuel docu­men­taire. Arte­facts et simu­lacres, jonc­tions incon­grues des contraires et de diverses don­nées ou “matières” mêlent l’imaginaire au réel pour intro­duire une “pen­sée” sociale et le poli­tique au cœur de l’oeuvre comme de l’existence.

Et ce, dans un enga­ge­ment par­ti­cu­lier affran­chi de tout dog­ma­tisme. Si bien que dans des situa­tions d’affrontement le corps et les figu­ra­tions deviennent des enjeux de réen­chan­te­ments plus que de simple res­ti­tu­tion là où l’intime rejoint les pré­oc­cu­pa­tions sociales et iden­ti­taires.
Et si au départ Fran­cesca Di Bonito est néces­sai­re­ment seule, elle joint les don­nées de passé au pré­sent pour une avan­cée aussi per­son­nelle que géné­rale. Ainsi devient éter­nel­le­ment actuelle, dans l’hybridation de ses lan­gages, celle qui garde le cou­rage de ne pas l’être trop tôt tout en évi­tant le soleil noir de la nos­tal­gie afin de deve­nir pri­mi­tive du futur. Le tout pour pro­vo­quer l’espace et habi­ter les corps.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Ça dépend des matins…
L’inévitable pul­sion de vie ? Ou l’inévitable ins­tinct de sur­vie ? …Ce qui revient au même.
Un simple et banal besoin physiologique ?

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
J’ai très peu de sou­ve­nirs de mon enfance. Que quelques flashs visuels, de temps à autre… Et puis, j’avoue, je n’aime pas les rêves. Ils me ren­voient à l’espoir qui est pour moi un leurre dan­ge­reux. Je pré­fère l’horizon au rêve : le besoin d’évolution, le dépas­se­ment des limites encom­brantes, les pro­jets de vie.

A quoi avez-vous renoncé ?
A l’insouciance perpétuelle.

D’où venez-vous ?
De la mer chaude, à la fron­tière d’un soleil encore plus chaud.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
L’esprit cri­tique, le doute, la recherche, la décou­verte de ce monde et des champs de ses pos­sibles.
Et, la vigi­lance, dépour­vue de méfiance.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Un fraisier.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Une mili­tance achar­née mélan­gée à un mys­ti­cisme athée moins acharné.

Com­ment définiriez-vous votre approche du tex­tile ?
Relier les mor­ceaux d’un passé flou avec les traces d’un futur que je veux indélébile.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Les « aty­piques » de Diana Arbus ; HAINES de Gilles Peress.

Et votre pre­mière lec­ture ?
L’Odyssée d’Homère (à 12 ans puisque, comme je disais, j’ai trop peu de sou­ve­nir avant l’adolescence).

Quelles musiques écoutez-vous ?
La bonne pop et le bon rock.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je n’aime pas relire puisque cela me donne l’impression de reve­nir en arrière alors que c’est aller de l’avant qui me fas­cine. Mais si un jour je me trou­vais dans l’impossibilité de récu­pé­rer des nou­veaux textes je reli­rais :
Aucune bête aussi féroce de Edward Bun­ker,
L’Évangile selon Jésus-Christ de José Sara­mago,
Tendre est la nuit de Fran­cis Scott Fitzgerald.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Dog­ville de Lars Von Trier.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une dizaine de vies déjà vécues et une cen­taine encore à vivre.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Per­sonne. J’ose toujours.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La mienne, Naples.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Les artistes plas­ti­ciens : Alfredo Jaar, Sophie Ris­tel­hue­ber, Jenny Hol­zer, Wim Del­voye, Mau­ri­zio Cat­te­lan, Mireille Vau­tier …
Les écri­vains : Agota Kris­tof, Irvin Yalom, Witold Gom­bro­wicz, Aldous Hux­ley, Pier Paolo Paso­lini, Erri De Luca, Vir­gi­nia Woolf, Ste­fan Zweig …

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une gale­rie qui sache défendre « ses » artistes.

Que défendez-vous ?
Le devoir des vérités.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Des pro­jec­tions exis­ten­tielles, des fan­tasmes que les êtres s’obstinent à vou­loir réa­li­ser.
Mais à mon avis l’amour est un moteur de vie, un accom­pa­gne­ment réci­proque.
Per­son­nel­le­ment, je crois don­ner ce que je veux à ceux qui en veulent.
Ce qui, d’un point de vue psy­cha­na­ly­tique, pour­rait aussi se tra­duire ainsi : « Les névroses se cherchent, s’attirent, se choi­sissent et par­fois en pro­duisent des nouvelles »

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je réponds rare­ment avec un oui sec.
Et jamais à des ques­tions dont je ne connais pas la nature.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
La volonté poli­tique d’assimiler l’art à la culture est-elle une forme de cen­sure ?
Réponse : Oui, des plus graves.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 9 mais 2021.

1 Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Echos d'Italie / Echi dell'Italia, Entretiens

One Response to A la frontière des soleils — entretien avec Francesca Di Bonito

  1. CHABOT

    J’aime bien vos réponses. Si la lumière et les soleils vous ins­pirent je me per­mets de vous pro­po­ser de regar­der mon site.
    laurentchabot.com
    Bien à vous.

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