Ramus Lindberg, Habiter le temps

Après Lars Noren 

Le grand auteur de théâtre sué­dois de ces der­nières décen­nies, Lars Noren, vient d’être emporté par la Covid. Son oeuvre a été jouée dans toute l’Europe et par­ti­cu­liè­re­ment en France.
Le théâtre scan­di­nave dans son ensemble, d’ailleurs connaît une grande vita­lité, que l’on pense au danois Chris­tian Lol­like ou au nor­vé­gien Jon Fosse. Ces dra­ma­turges ont démonté le mythe d’une société pré­ten­du­ment apai­sée, régu­lée, pros­père des pays de l’Europe du Nord, sou­vent van­tés à l’étranger pour leur exem­plaire modèle social. Leurs pièces ont levé le voile sur la vio­lence dans les rela­tions humaines, fami­liales, sur le racisme, sur le fana­tisme fas­ciste d’un Breivik…

Ramus Lind­berg, né en 1980, auteur d’une quin­zaine de pièces et met­teur en scène incarne une nou­velle géné­ra­tion du théâtre sué­dois. Il s’est fait connaître à l’étranger avec sa pièce, Le jour où Marty est mort, écrite en 2006. Habi­ter le temps est sa troi­sième pièce tra­duite, chez Espaces 34.
A la dif­fé­rence de nombre de textes fran­çais fon­dés sur les mono­logues ou la poly­pho­nie dra­ma­tique, écar­tant assez sou­vent la « forme –per­son­nage », le théâtre scan­di­nave s’appuie sur des vies en dia­logue. Les dis­tri­bu­tions sont sou­vent larges.

Dans Habi­ter le temps, Lind­berg convoque plu­sieurs géné­ra­tions d’une même famille, cor­res­pon­dant à trois époques dif­fé­rentes : tout d’abord, 1913 avec les grands-parents : Kris­tin et Erik, puis en 1968 Ste­fan et Caro­line et enfin à notre époque, le couple les­bien de Myriam et Han­nele, la demeure fami­liale de la petite bour­geoi­sie, ser­vant de décor. La construc­tion en deux actes ne reprend pas comme cer­tains pour­raient s’y attendre un décou­page chro­no­lo­gique linéaire mais de manière très sub­tile, éla­bore l’entremêlement des diverses strates tem­po­relles parce que le passé plus ou moins loin­tain façonne le pré­sent.
Han­nele, la com­pagne de Myriam dira à pro­pos des grands parents de cette der­nière, p. 24 : «  Leur vie et notre vie s’effleurent. Leur vie et notre vie s’influencent en per­ma­nence ». Les per­son­nages des diverses époques par­ti­cipent au même espace scénique.

La pièce tisse ainsi un fil tra­gique ; celui qui trans­met aux des­cen­dants le mal­heur mal­gré tout, à par­tir d’une scène ori­gi­nelle : celle autour de l’enfant ébouillanté ( Ste­fan ) par son père dans son ber­ceau, objet sur lequel s’achève le texte. Il en gar­dera des séquelles phy­siques tout au long de son exis­tence mais sur­tout un mal-être pro­fond.
A chaque période, les couples se déchirent inévi­ta­ble­ment. Kris­tin, alcoo­lique, tra­hie par son mari se sui­ci­dera, Caro­line épou­sera son patient contre ses prin­cipes et Han­nele des années plus tard retrou­vera, der­rière un vieux tableau, la lettre de la désespérée.

Les tra­jec­toires des per­son­nages se font écho : les rup­tures d’Erik et Kris­tin ou celle d’Hannele et Myriam que l’âge sépare, ainsi que le sta­tut social. Myriam, gale­riste, « cura­tor » fait vivre son amie. Seules la danse et la musique semblent pou­voir apai­ser ces coeurs meur­tris.
Ainsi scène 9, les trois couples se mettent à val­ser ou dans deux scènes, qui pré­cèdent la fin de la pièce (scène 30 et 31) une didas­ca­lie indique que les six per­son­nages entrent dans le chant et forment à un moment donné une « unis­son », un choeur : c’est beau, lan­gou­reux et mélan­co­lique. Dans la scène sui­vante, on voit en arrière plan du mono­logue d’Hannele, les per­son­nages danser.

Il n’y a pas que la parole qui va vers l’apaisement, le temps lui-même se réca­pi­tule puis s’élargit au-delà du temps de la pièce. Han­nele égrène les dates de morts des per­son­nages : le sui­cide en 1913 de Kris­tin, la mort de son mari en 1953, celle de Ste­fan en 1987 des suites d’un can­cer, celle de Caro­line en 2014.
Myriam meurt à son tour en 2022. Sa fille Cor­ne­lia s’est mariée en Alle­magne et Anya est née en 2048 qui à son tour enfante Rafael. La vie conti­nue et les géné­ra­tions se suc­cèdent tou­jours jusqu’en 2073…

Habi­ter le temps a été pro­grammé cette année, dans une mise en scène de Michel Didym au théâtre de la Manu­fac­ture, mais hélas le spec­tacle a été annulé.

lire un extrait

marie du crest 

Ramus Lind­berg, Habi­ter le temps, Espaces 34, 2021, 112 p. — 15,00€.

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