Faire signe au singe que tout homme porte en lui
Ce troisième tome des oeuvres romanesques contient des textes majeurs mais souvent — à l’exception de “Ada ou L’Ardeur” moins connus : “Pnine”, “Feu pâle”, “La transparence des choses”, “Regarde, regarde les arlequins!”, “L’original de Laura”.
Il existe pourtant en de telles oeuvres une totale liberté créatrice. Nabokov multiplie les défis au lecteur par son imaginaire.
Retenant l’esprit de “Lolita” qui lui permit de devenir un écrivain mondialement connu, et plutôt que de se replier sur une recette de succès, il ose bien d’autres expérimentations littéraires.
Dans “Pnine” un professeur d’origine russe enseignant en une université américaine (sorte d’autofiction de l’auteur) est évincé de son poste par le narrateur du récit, qui se révèle être Nabokov lui-même.
Avec “Feu pâle”, l’auteur entame un autre dédoublement (une récurrence de son oeuvre) en opposant à travers un poème et son commentaire, deux narrateurs Janus.
Et ces types de d’oppositions, brouillages et emboîtements se retrouvent dans le chef-d’oeuvre de l’époque que ce tome III traverse :“Ada ou l’Ardeur” grand roman de l’amour total s’il en est.
A l’inverse, “La Transparence des choses” se veut une simple enquête de “Mr. R”, romancier d’un genre très particulier puisqu’il écrit depuis le royaume des ombres pour estimer des destinées qui s’entrecroisent.
Quant à Vadim Vadimovitch, narrateur de “Regarde, regarde les Arlequins!”, ce n’est que Nabokov lui-même et ce, comme dans “L’original de Laura” (roman inachevé).
De telles autofictions possèdent néanmoins une stratégie particulière : le dédoublement y opère avec finesse et impertinence. Où est la copie ? Où est l’original ?
L’auteur n’aura cessé de jouer avec ces deux versions ou faces pour le plaisir du lecteur toujours sensible aux provocations d’humour implicite et d’humeur ravageuse.
Dans une telle oeuvre, les coïncidences sont toujours, défaites, trompeuses ou ironiquement silencieuses. C’est une façon de voir, de recevoir, de percevoir les êtres dans un perdre-voir.
Ce dernier reste le contraire d’un aveuglement car Nabokov ne cesse de faire signe au singe que tout homme porte en lui. Même dans ses songes.
jean-paul gavard-perret
Vladimir Nabokov, Œuvres romanesques complètes, tome III, édition publiée sous la direction de Maurice Couturier, chronologie par Brian Boyd, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade , Paris, février 2021, 1808 p. — 77,00 €.