Réceptif au religieux comme à sa commercialisation, Arun Kolatkar nous emporte dans un grand lieu de pèlerinage d’Inde : Jejuri qui donne le titre au livre.
Celui-ci retrace un voyage “spirituel” à travers des poèmes drôles, désopilants parfois, souvent tristes mais toujours d’une liberté profonde.
Il y a là entre vérité spirituel et mensonges sacrés le grand ouvert et le clos, le jeu des pluriels, là où au sein du réel la fable évide sa propre affabulation comme celle qu’on colle aussi aux rapports que les humains entretiennent entre eux ou avec leurs dieux.
Kolatkar réinvente un lieu qui n’est ni le propre, ni le figuré. Il devient celui d’une fixation de ce qui n’est jamais fixe.
D’où le champ actif d’une imprévisible expérience. Nous ne sommes plus autour ou dessus mais dedans.
Chaque poème représente un chant et une chambre de voyance. Surgissent des architectures improbables, des sillons complexes, de subtils volumes là où des rats déroulent leur queue sur “l’épaule d’une dieu guerrier” jusqu’à faire onduler “le muscle divin”.
Arun Kolatkar décrit aussi les rues bondées, les sanctuaires, l’histoire des sages et des dieux. Mais il s’attache surtout à retrouver une véritable trace du divin dans un monde chaotique. Ce qui est un exploit de chaque minute.
Tout s’y mélange dans un maelstrom d’émotions induites apparemment au moyen de simples descriptions et narrations de diverses anecdotes.
Par exemple cette évocation d’une gare : “l’employé aux réservations croit au principe / du prochain train / quand la conversation en vient aux horaires/ il prend sa langue / la guide par-dessus le guichet / et vous dirige vers une intelligence / supérieure”…
jean-paul gavard-perret
Arun Kolatkar, Jejuri, traduit de l’anglais par Roselyne Sibille, édition Banyan, Paris, 2020, 112 p. — 16,00 €.