Rochelle Fack dit ne pas écrire ses livres. Elle se met simplement en état de permettre aux personnages de ses romans d”arriver. Amoureuse des crépuscules, elle aime toujours aborder ce qui touche à la fin. Ne pouvant écrire seule ce livre, celui-ci et comme les autres est le fruit de rencontres.
Et l’auteure de préciser leur rôle : “Ils émergent lentement du coma que je mets en œuvre. Ils reviennent à la surface avant moi. Ils se concentrent, s’affirment, se confirment, et écrivent rapidement à ma place.”
Néanmoins, la créatrice met ses mots dans les leurs et leurs situations dans sa stratégie romanesque. Et si ses personnages sont le fil de sa fiction, c’est bien elle qui le tisse. C’est une façon de se distraire et de perturber lecteurs et lectrices.
Elle aime les guider dans les lieux et endroits imprévus.
Avec Le soleil est battu l’héroïne devient sa propre narratrice. Elle y raconte une rencontre amoureuse, une passion sensuelle et érotique si celles-ci ne se doublaient pas d’une relation troublante à la mort. A travers ce personnage d’infirmière en unité de soins palliatifs à Fréjus, la fiction donne à la Provence un jour inattendu et inquiétant.
L’amour se fait ou se crée, comme l’écrit l’auteure, “au contact vivant de la mort, de son inquiétante sensualité, qu’il faut à la fois connaître, apprivoiser, pour travailler, et fuir si l’on veut aimer.” Dès lors, celle qui dit “je” quitte son mari, sa région et part en road movie amoureux afin de mettre une distance par rapport à la mort mais aussi pour l’appréhender.
Rochelle Fack a mené une enquête filée auprès de professionnels de la mort (garçon d’anatomie, opérateur funéraire, médecins et soignants, assistants sexuels en milieu hospitalier). Son livre devient la synthèse de ce qu’ils lui ont appris au sein des gestes et des affects qui sont les fruits de leurs métiers.
La dérive entraîne la narratrice loin des lieux balisés. Comme une Almodovar romancière elle se retrouve, franchissant la frontière franco-italienne, en périphéries urbaines plus ou moins interlopes : ZAC, motels, mobile-home, ancien site de maisons témoins, le quartier de Garbatella à Rome.
Cette sorte de “tourisme” est inquiétant et fascinant. Rochelle Fack trouve toujours les mots justes et sans contorsions pour évoquer les charmes paradoxaux des situations et des lieux. Existe autant de vie que sa désorientation en divers étapes. Et l’auteure reste la magicienne de certains vertiges. Elle aime nous perdre là où le soleil — même italien — n’est pas forcément éclaircissant.
Néanmoins, l’amour demeure : il ne s’agit pas d’en estomper les balafres mais de chercher à le recoudre loin des lieux que la mort sollicite.
Bref, si la route des passions n’est pas en droite ligne, elle ne peut se finir en impasse sauf celle qui réunit l’humaine condition dans des sépultures.
jean-paul gavard-perret
Rochelle Fack, Le soleil est battu, P.O.L éditeur, Paris, 2020, 224 p. — 18,00 €.